15 octobre 2012

Fusion froide

Oui, les Prs Pons et Fleischmann ont bien trouvé une nouvelle source d'énergie potentielle. Mais ni eux ni personne ne peuvent expliquer son origine.

Ils doivent l'attendre avec impatience, cette date du 3 mai 1993. Parce que ce jour-là, dans une revue spécialisée de haut niveau, "Physics Letter A" (Elsevier Publications), une de ces publications à usage exclusif des chercheurs, les résultats - remarquables - de leurs dernières recherches seront dévoilés. Oui, un jour à marquer d'une pierre blanche pour deux hommes. Presque une réhabilitation pour ceux qui, il y a quatre ans, ont ébranlé le monde, avant d'être mis à l'index, en annonçant qu'ils avaient réussi à capturer dans une bouteille Thermos une formidable source d'énergie potentielle. Qu'ils avaient capté dans leurs calorimètres et leurs électrodes un peu du feu des étoiles en produisant des réactions de fusion thermonucléaire. Le rêve de l'humanité moderne, en quelque sorte (Paul : mais pas des cartels de l'énergie !).

Aujourd'hui, donc, Stanley Pons, américain, ex-directeur du département de chimie de l'université de l'Utah, et Martin Fleischmann, britannique, ex-professeur de l'université de Southampton, récidivent. A raison. "C'est vrai que leur papier est excellent et transparent", remarque Max Costa, directeur du laboratoire d'électrochimie interfaciale du CNRS. "Si j'ai donné mon feu vert à la publication, c'est bien parce que le texte est de qualité", ajoute un professeur d'une école nationale d'ingénieurs. "Après cela, on ne pourra plus les ignorer, commente le Pr Jean-Pierre Vigier, directeur de recherche au CNRS et ancien professeur de physique quantique à l'université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI).

Confortablement installés à Sophia-Antipolis, en France, dans un magnifique laboratoire financé par les Japonais, Pons et Fleischmann, les pères de ce qu'on avait appelé, peut-être à tort, la "fusion froide", ont du mal à cacher leur satisfaction. Mais ils sont bien décidés à rester sereins, eux qui furent montrés du doigt par bon nombre de leurs confrères, eux qui, en 1989, ont déclenché une polémique planétaire. Le 23 mars exactement. Ce jour-là, le vice-président de l'université de l'Utah convoque la presse. Pour une communication extraordinaire: deux chercheurs de réputation internationale annoncent qu'ils ont produit de l'énergie d'une façon toute simple. Comment? En effectuant l'électrolyse de l'eau lourde - l'hydrogène est en partie remplacé par un de ses cousins germains, le deutérium. Astuce: l'une des électrodes est faite de palladium, un dévoreur de deutérium. Là, entre les mailles du métal, les noyaux atomiques peuvent se rapprocher, s'agglutiner. Jusqu'à s'épouser, ne faire plus qu'un, fusionner peut-être? Exact, pensent alors Pons et Fleischmann, qui ont bien du mal à en croire leurs instruments de mesure. Voilà ce qui expliquerait les formidables dégagements de chaleur observés. Impossible! s'exclame une bonne majorité de la communauté scientifique. Qui sait? murmurent certains. Si les deux trublions de l'Utah ont raison, la face économique de la planète, dévoreuse d'énergie, en sera probablement changée. Finie, la dépendance de l'industrie envers le pétrole, le charbon ou le nucléaire !
Commence alors, dans les laboratoires du monde entier, une véritable course aux "manips". Résultats mitigés. Dès le début de l'année 1990, les conclusions - négatives - d'expériences françaises (CEA, CNRS, Collège de France) et britanniques (laboratoire de Harwell, Oxfordshire) semblent assener le coup de grâce à ce rêve un peu fou. La fusion froide entre dans la clandestinité. Pons et Fleischmann quittent les Etats-Unis. Et viennent s'installer à Sophia-Antipolis, où, précisément, les Japonais ont un centre de recherche - l'Imra - financé par une dizaine de sociétés du groupe Aisin (filiale de Toyota). Durant deux ans, à l'abri des remous de la communauté scientifique, loin des médias, les deux hommes travaillent pour remonter leurs calorimètres, régler leurs appareils, refaire leurs mesures, choisir avec minutie leur électrode de palladium. Aujourd'hui, ils persistent et signent. "Oui, disent-ils, et l'article - qui a été relu avant publication par un panel de spécialistes - le prouve, nous obtenons un excès de chaleur de 400% durant le temps où la réaction - production d'énergie - a lieu. Oui, avec le ??bon'' palladium, nos manips sont reproductibles et nous les avons refaites cent fois."

Pons et Fleischmann, des martyrs isolés sur un océan d'incompréhension? De moins en moins. Parce que depuis deux ans, d'autres, dans leur coin, en silence, ont peaufiné des expériences. Avec des succès pour le moins surprenants. Exemples: en mars 1993, Edmund Storms, du laboratoire de Los Alamos - qui n'a rien d'un centre de recherche folklorique - publie dans la revue "Fusion Technology", le journal officiel de l'American Nuclear Society, les conclusions d'une recherche similaire à celle des deux don Quichotte de Sophia-Antipolis. Là aussi, il y a excès d'énergie (environ 20%). En septembre prochain, toujours dans "Fusion Technology", Jacques Dufour, chercheur à Shell, annoncera - avec le soutien de son entreprise - les résultats de ses expériences, faites en 1992. Etonnants. Avec une approche différente. "Je remplace l'eau lourde par du gaz, de l'hydrogène ou du deutérium, explique le jovial scientifique; j'utilise une électrode de palladium, mais aussi de l'inox ou du nickel, et j'envoie des étincelles dans le gaz. Conséquence: j'obtiens à la sortie une énergie double de celle que j'ai mise à l'entrée. J'observe même un noircissement de pellicules photo, preuve qu'un rayonnement est émis."

ON S'AFFAIRE DANS LES LABOS

Cent fois sur le métier Jacques Dufour a remis son ouvrage. Et cent fois il a obtenu des effets positifs. Qui confirment en quelque sorte ceux qu'a présentés, en octobre 1992, à la IIIe Conférence internationale de Nagoya, au Japon, un groupe de chercheurs de la Nippon Telefon and Telegraph Corp. (équipe de Yamaguchi). Au Japon, en Inde, en Russie, on s'affaire dans les labos. Et la liste des succès s'allonge. Problème: comment expliquer scientifiquement les résultats? Le palladium ne serait pas le seul métal élu, l'inox ou le nickel, eux aussi gloutons en hydrogène, feraient également l'affaire. Des étincelles dans un gaz d'hydrogène ou de deutérium produiraient le même effet que l'électrolyse de l'eau lourde. Certains expérimentateurs affirment même avoir connu des succès avec l'eau légère. Bref, on y perd son latin. Car il ne suffit pas d'observer un phénomène qui risque de bouleverser l'économie mondiale. Encore faut-il le comprendre, l'expliquer.
Mais la théorie se fait chiche. Les noyaux de deutérium ou d'hydrogène fusionnent-ils vraiment au coeur de l'électrode en recrachant leur surplus d'énergie, comme Einstein l'avait prévu? Pas sûr. Les signatures de la fusion - production de tritium, de neutrons, de protons, d'hélium, de rayonnement - sont floues, et d'ailleurs Pons et Fleischmann ne les évoquent même pas dans leur publication. La chimie quantique nous joue-t-elle des tours, et des réactions particulières entre noyaux et électrons au coeur de l'électrode déchaîneraient-elles ces bouffées d'énergie - sous forme de rayons X mous - qui, à leur tour, favoriseraient le mariage des noyaux de deutérium ou d'hydrogène, comme l'avance le Pr Vigier? Une forme non répertoriée d'interactions quantiques, qui fonctionnerait aussi bien avec le deutérium que l'hydrogène, entre-t-elle en jeu, comme le suppose aussi Jacques Dufour? Il est beaucoup trop tôt pour trancher. D'autant qu'en France et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis les manips se font sous le manteau. Faute d'un appui de la science officielle. "Nous n'avons aucune expérience en cours sur le sujet", commente le porte-parole du CNRS. "Vous comprenez, explique Jean-Paul Babuel Peyrissac, du CEA, il faut prendre le maximum de précautions; on ne peut pas être la risée des scientifiques. Mais c'est vrai qu'il se passe là des phénomènes physiques encore incompréhensibles et qu'il faut y aller voir. Nous sommes en train de remonter une manip qui fonctionnera d'ici à un an." D'autres, dans le même organisme, n'ont pas attendu le feu vert de leur hiérarchie. Dans la plus grande clandestinité, ils s'affairent autour de leurs calorimètres et déposent discrètement des brevets. "C'est vrai, commentent en choeur Jean-Pierre Vigier et Jacques Dufour, l'attitude des grands organismes de recherche est incompréhensible. Pourquoi sont-ils si réticents alors que les manips ne sont pas très coûteuses?" Comme si la fusion froide sentait le roussi et qu'ils avaient peur d'y brûler les ailes de leur réputation. Un exemple: Jacques Dufour, financé entièrement par Shell, a cherché longtemps un laboratoire mieux équipé que le sien - situé à Grand-Couronne, près de Rouen - pour poursuivre ses expériences. Il a eu du mal à se faire accueillir. C'est en définitive le Pr Jacques Floss, directeur du laboratoire des sciences nucléaires du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui lui a ouvert ses portes. "Je suis à peine installé, commente-t-il, que déjà les chimistes, les thermiciens, les physiciens nucléaires du Cnam sont prêts à donner un coup de main. Critiques, intrigués, mais très ouverts."

Après le 3 mai, qui osera dire qu'il ne se passe rien dans les bouteilles Thermos de Pons et Fleischmann? Qui pourra prétendre qu'il n'y a pas un mystère dans les calorimètres de Dufour ou dans ceux des Japonais? Qui refusera de relancer des expériences où se cache peut-être l'avenir énergétique de la planète?

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4 commentaires:

  1. hydrogène?, inox?, du matériel accessible au public?... je veux de la fusion froide!!!!

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  2. Vous avez dit fusion à froid ?
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Catalyseur_d%27%C3%A9nergie_de_Rossi_et_Focardi

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  3. Le principe est étonnamment simple : utiliser un catalyseur. La difficulté est de "tomber" sur le catalyseur qui fonctionne.
    Dans la vie organique, les enzymes sont des catalyseurs biologiques, qui rendent possibles en les accélérant les réactions chimiques nécessaires à la vie (métabolisme). Les catalyseurs biologiques (enzymes) sont d'ailleurs utilisés dans les bio-industries.

    Dans les pots d'échappement de nos voitures, le catalyseur "Palladium" sert à dépolluer les gaz. sans apport d'énergie extérieure, simplement la chaleur du gaz sortant.

    Le catalyseur a la propriété en effet, de réduire considérablement le niveau d'énergie externe à fournir pour qu'une réaction chimique ait lieu.
    Par exemple, pour "casser" une molécule d'eau, par électrochimie, il faut une consommation d'énergie qui rend le résultat : obtention d'eau et d'hydrogène, inintéressant en bilan énergétique.
    Mais si un catalyseur ad hoc permet de rendre la réaction très rapide et efficace, le bilan sera alors favorable.

    il n'y a donc "rien de sorcier" à cela, mais la grande difficulté, l'Alchimie, c'est de trouver le bon catalyseur et sous quelle forme ou conditions il sera le plus efficace.

    L'ami Pierrot

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    1. Coquille : l'électrochimie de l'eau donne de l'Oxygène et de l'Hydrogène. C'est l'hydrogène qui est recherché comme "carburant", sa combustion avec l'oxygène de l'air reforme la molécule d'eau.

      L'ami Pierrot

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