02 septembre 2013

Fukushima : une faillite aux conséquences incalculables

Minamata

Le 11 mars 2011, quand la centrale nucléaire Fukushima Daiichi a été ravagée par une déferlante de 15 mètres, que le monde entier se faisait un sang d'encre, jusqu'à la Maison-Blanche, le président de la compagnie Tokyo Electric Power (Tepco), lui, était en Chine et le directeur général quelque part en visite de tourisme à l'autre bout du pays. Tout, depuis, fut à l'avenant : une succession de malchances, d'erreurs, de mensonges et manquements de Tepco et des autorités, aggravant le drame. Deux ans et demi après cet accident sans précédent, même s'il faut reconnaître que la situation aurait été pour n'importe qui extrêmement difficile à gérer, Tepco continue d'enchaîner les négligences et les bourdes, comme le montre la série actuelle de fuites d'eau hautement radioactive.

Des réservoirs qui fuient et dont on ne sait rien

Au total, la compagnie doit déjà faire face à quelque 400 000 tonnes d'eau polluée enfouie dans le sous-sol ou stockée dans des réservoirs, un volume qui augmente chaque jour de 400 tonnes, sans compter les 300 tonnes environ qui filent quotidiennement en mer. Après des bassins de rétention qui ne sont pas étanches, Tepco a découvert un réservoir cylindrique de 1 000 tonnes au tiers vidé, une fuite encore inexpliquée mais déjà qualifiée de "grave" par l'autorité nucléaire. Et ce n'était pas la première du genre : quatre autres avaient déjà eu lieu dans le passé, sans être commentées.

Qui est le fabricant des réservoirs ? Dans quelles conditions le choix des citernes a-t-il été effectué ? Sont-ils adaptés ? À ces questions et à bien d'autres Tepco refuse de répondre. Quant à l'entreprise non officiellement nommée qui a fourni ces équipements (Tokyo Kizai Kogyo, en l'occurrence), elle se retranche derrière des clauses contractuelles pour ne livrer aucun détail sur ses réservoirs. Si bien que l'on ne sait pas s'ils sont effectivement conçus pour stocker de l'eau hautement radioactive et, le cas échéant, pendant combien de temps. Ce serait quand même bien d'être informés, vu que pas moins de 350 engins du même type ( et 700 d'autres conceptions) sont installés sur le site. Le tout est à la merci d'un nouveau séisme ou tsunami, avertit le professeur Hiroshi Miyano, expert de la conception de centrales. "L'eau radioactive accumulée est en partie issue d'eau de mer et contient donc du sel. Or, l'acier utilisé rouille facilement et il existe des risques de trous de corrosion", ajoute le professeur Akio Hata, spécialiste des questions de pollution.

"Vérifiez par vous-même !"

"Nous pensons que la façon dont votre entreprise gère l'eau contaminée a totalement failli", s'est agacé cette semaine Hiroshi Kishi, chef de la fédération de plus de 1 000 coopératives de pêche du Japon, face à un patron de Tokyo Electric Power (Tepco) démuni. "Nous sommes extrêmement inquiets de l'impact incommensurable (de cette gestion) sur l'avenir de notre industrie", a-t-il poursuivi. Les pêcheurs ne sont pas les seuls à avoir le sentiment d'être menés en bateau.

"Je ne peux pas répondre à cette question, vérifiez par vous-même", "je n'ai pas les données sous la main" sont des réponses très fréquentes aux questions. "Une telle communication est exécrable. Cela montre que vous ne savez pas ce que vous faites." Face au patron de Tepco, Dale Klein, ancien président de la commission de régulation nucléaire des États-Unis, ne mâche pas ses mots. "Cette façon de faire démontre de graves lacunes de prise de décision", a tancé cet expert.

Les dirigeants de Tepco ont beau présenter des excuses et les responsables enchaîner les conférences de presse, parfois plusieurs par jour, l'opérateur parvient quand même à omettre de donner des informations essentielles, comme le fait que depuis deux ans, et certains le savaient, des quantités énormes d'eau radioactive s'écoulent du sous-sol de la centrale dans l'océan. Tepco a fini aux forceps par reconnaître que cette eau souterraine pleine de tritium, strontium, césium et autres éléments radioactifs ne stagnait pas sous terre entre la centrale et la mer, comme prétendu auparavant, mais descendait bel et bien jusqu'à l'océan.

La politique de Tepco depuis le départ consiste en un mot : rassurer. Elle se traduit par le fait de taire ce qui n'est pas certain, ou d'échafauder des hypothèses fumeuses pour masquer une ignorance. Alors que les responsables à la centrale de Fukushima avaient vite compris le jour même du tsunami que le combustible était en train de fondre dans une partie des réacteurs et que les manipulations nécessaires allaient générer d'importants rejets de matières radioactives, la compagnie écartait officiellement la première hypothèse et disait, appuyée alors par le gouvernement, qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter outre mesure des émissions radioactives.

À la merci d'un rat

Récemment encore, de la vapeur s'est échappée du réacteur n°3, le plus amoché des six. Tepco a expliqué benoîtement que "de l'eau de pluie s'était accumulée et s'évaporait au contact de la cuve du réacteur", tout en prétendant que la température de cette dernière ne dépassait pas 40 degrés. De quoi laisser sceptique. Parfois, on a la nette impression que la compagnie se moque ouvertement du monde. Ainsi lorsqu'elle annonce en mars dernier qu'une coupure de courant, dont les conséquence auraient pu être dramatique, a été provoquée par "un petit animal". Pourquoi ne pas dire "un rat", puisque les photos du rongeur terrassé par le court-circuit ne laissaient pas place au doute. "Qu'un rongeur puisse s'introduire dans les installations, c'est de l'ordre du prévisible, non ?" s'étonnèrent alors les experts. "Cela fait deux ans que l'accident dure, et Tepco continue d'oeuvrer aussi piteusement", s'était agacé le professeur de régulation nucléaire Muneo Morokuzu de l'université de Tokyo. "Vulnérables à un rongeur, les équipements le sont aussi au terrorisme", renchérissait le sénateur de droite Masahisa Sato. Et d'ajouter : "Il faut cesser de confier la gestion de cette crise à Tepco."

Le gouvernement affirme qu'il va prendre les affaires en main, mais dans les faits, on attend toujours, et cela, bien que Tepco soit de facto nationalisée. À l'évidence, Tepco manque de main-d'oeuvre et de moyens, et est complètement dépassée par la situation. Quelque 3 000 personnes oeuvrent quotidiennement à la centrale de Fukushima. Dans leurs combinaisons blanches et munis de masques intégraux au milieu de débris et de tuyaux, par 35 degrés en été et jusqu'à -10 degrés en hiver, avec une radioactivité ambiante infernale par endroits, ces héros anonymes méritent mieux qu'une direction incompétente et lâche. Sans parler des 100 000 personnes chassées de chez elles par les rejets radioactifs : Tepco les indemnise au lance-pierres... avec l'argent du contribuable.

Une faillite collective

Même l'agence indépendante de régulation nucléaire paraît parfois impuissante. Ses membres s'en prennent vertement à Tepco. Mais eux aussi échouent à appeler un chat un chat. Son président, Shunichi Tanaka, l'a d'ailleurs reconnu et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est intervenue pour lui conseiller d'"élaborer un plan de communication pour expliquer la signification de chaque problème en termes de sûreté". "Cela permettrait d'éviter d'envoyer des messages contradictoires aux médias et au public", a écrit noir sur blanc l'AIEA.

Tepco porte une lourde responsabilité, mais en réalité tous les acteurs du secteur, depuis des décennies et a fortiori depuis le tsunami, ont failli : "L'erreur originelle a été de penser qu'un accident critique ne pouvait pas survenir au Japon", reconnaît un ex-directeur de la centrale saccagée de Fukushima. Ce "mythe de la sûreté" a empêché d'imaginer ce qui s'est effectivement produit (le pire) et de prendre des dispositions suffisantes pour que cela n'arrive pas. Désormais, il faut vivre avec cette crise qui durera au moins quatre décennies avec un risque permanent d'une nouvelle catastrophe naturelle.

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1 commentaire:

  1. De plus le gouvernement japonais a remis en route une grande partie de ses centrales nucléaires...suivant en cela les "directives des EDL" qui a en croire de nbreuses "canalisations" S'OCCUPENT DE TOUT...c'est beau la vie de bisounours !!!

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