08 avril 2014

Vers une victoire du Front national aux Européennes : analyse d’Alain Soral

Si Marine Le Pen exultait il y a une semaine suite au succès de son parti aux élections municipales (le Front national a gagné 12 villes), elle voit maintenant les intentions de vote confirmer ses ambitions de s’imposer au Parlement européen. Selon les derniers sondages IFOP et IPSOS, 22 % des Français voteraient pour le Front national (FN) aux prochaines élections européennes, ce qui situerait le parti nationaliste juste derrière l’UMP (24 %) mais devant les socialistes (19 %). Ces 22 % de voix en faveur du FN proviennent dans sa majorité des classes populaires (30 % des employés et 44 % des ouvriers).

Mais le succès de la formation de Le Pen est à nuancer : plus qu’une adhésion massive à son programme politique, les votes récoltés par le FN sont davantage des votes qui sanctionnent la gestion du gouvernement de François Hollande et la politique d’austérité de l’Union européenne.

Ironie du sort, sur le papier, le programme politique du Front national partage des arguments avec les plus ardents défenseurs des droits des travailleurs, des acquis sociaux et de la souveraineté des peuples : rejet des politiques d’austérité économique imposées par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), la sortie de l’Euro et un protectionnisme – par opposition à une mondialisation économique et financier ultralibéral – que défendent quelques-uns des économistes internationaux les plus réputés (Jacques Sapir, Emmanuel Todd, Joseph Stieglitz, Paul Krugman ou Nouriel Roubini, pour ne citer que ceux-là).

Le Front national défend aussi l’intervention de l’État pour endiguer une immigration incontrôlée (mesure que Georges Marchais lui-même, leader du Parti communiste français de 1970 à 1994, appelait de ses vœux pour éviter qu’un déferlement de main-d’œuvre immigrée bon marché ne créât un dumping social généralisé), la défense de la liberté d’expression sur l’Internet ou encore l’inscription d’un référendum d’initiative populaire dans la Constitution.

Toute une batterie de mesures imprégnées d’un patriotisme acharné, qui se heurte frontalement à l’européisme. « Si le Front national gagne aux prochaines élections européennes, ce sera le signal absolu au gouvernement [de François Hollande] que les Français ne veulent plus de l’Union européenne telle qu’elle s’est construite. Si chaque pays avait le contrôle de son économie et de sa monnaie, il est clair qu’il gérerait la crise beaucoup mieux que ne le fait l’UE. La raison pour laquelle le commerce extérieur a été placé sous la responsabilité de Monsieur Fabius [PS], c’est exclusivement pour accélérer la négociation du Traité transatlantique de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe, pacte qui va causer la destruction programmée de notre agriculture », déclarait la présidente du FN sur la radio française RTL le 4 avril dernier.

« Être européiste aujourd’hui en Espagne, c’est être stupide »

Avec d’autres partis nationalistes qui se qualifient d’eurosceptiques, comme le FPÖ autrichien, le Vlaams Belang belge et les Démocrates suédois, le Front national a formé un parti appelé Alliance européenne pour la liberté (EAF en anglais), dont l’intention est d’arriver à faire élire 25 eurodéputés aux prochaines élections européennes et de faire « éclater l’Union européenne de l’intérieur ». Pour l’heure, le parti britannique UKIP et les partis scandinaves ont refusé d’entrer dans l’alliance qui, à son tour, n’a pas voulu de l’adhésion de partis comme le Jobbik hongrois ou l’Aube dorée grecque, jugés trop « radicaux ». Lors d’une conférence de presse de l’EAF, en octobre de l’année dernière, Marine Le Pen a également précisé ne pas avoir eu de contacts avec les partis indépendantistes catalans : « J’espère que cela changera ; l’Espagne fait partie de ces pays où les mouvements eurosceptiques ont du mal à percer. » Alain Soral, sociologue et essayiste français, président de l’association et du site d’information indépendant Égalité & Réconciliation, considère aussi qu’être européiste en Espagne aujourd’hui c’est « être stupide ».

« L’Union européenne est consubstantiellement un processus de liquidation de l’État-providence de l’après-guerre ; le capital a voulu récupérer le pouvoir et tout ce qu’il avait alors cédé au monde du travail. C’est pour cette raison que, à mesure que nous avançons dans la logique de l’Union européenne, nous rencontrons toujours plus de chômage et toujours moins de pouvoir d’achat [...]. On a flatté l’Espagne en lui donnant de l’argent des contribuables européens, en lui promettant des richesses quand il n’y a plus aujourd’hui que misère et souffrance. »

Répression et mensonge

Pour lui, des partis nationalistes comme le FN représentent l’opposition à une coproduction de la gauche socialiste et de la droite capitaliste (surnommée UMPS en France), qui défend les intérêts du capital et de la banque au détriment des droits sociaux des travailleurs. Pour Alain Soral, si certains pays décidaient de sortir de l’euro de façon coordonnée, la France serait justement le moteur de cette implosion de l’UE et serait suivie de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de l’Italie.

« Aux Européennes, le Front national va gagner encore plus de voix qu’aux Municipales car les gens vont aller voter contre l’UE. Mais je ne pense pas que les élites au pouvoir reconnaissent ce vote contestataire. Ce serait reconnaître qu’elles se sont trompées et qu’elles devraient en conséquence rendre le pouvoir. Et ça, elles ne le feront jamais. » Soral fait observer que les élites répondent à la désobéissance civile par la répression policière et judiciaire et par le mensonge en assimilant les partis nationalistes (et tous ceux qui, comme lui, partagent tout ou partie des arguments défendus par ces partis) à de dangereux mouvements néonazis, avec la complicité des médias dominants qui diffusent ces messages. « Ils nous menacent, puisqu’ils n’ont aucune alternative à la misère à nous proposer : ou l’UE ou le fascisme, nous disent-ils. Mais nous sommes déjà en route vers un État totalitaire en France. »

Le journaliste se donne comme exemple, en assurant que, lorsqu’il y a trente ans on l’invitait dans les médias à s’exprimer et à donner ses opinions et analyses, aujourd’hui, pour exprimer les mêmes idées sur l’Internet, il reçoit des procès quotidiennement et il se voit convoqué par les juges d’instruction et par la police. « J’ai été agressé physiquement à cinq reprises, mais bien que j’aie identifié formellement mes agresseurs sur photos, les affaires ont chaque fois été classées sans suite. Le ministre de l’Intérieur [Manuel Valls] lui-même me menace ouvertement et publiquement. Ça, c’était inconcevable il y a vingt ans. La prochaine étape sera de me jeter en prison. »

La main tendue de Poutine

Quant aux contacts des partis nationalistes avec la Russie (qui ont été plus évidents avec la crise en Ukraine), Alain Soral les voit aussi comme un futur possible. Le Front national n’a pas caché son soutien à la politique de Vladimir Poutine pour son opposition à l’ingérence des États-Unis dans les affaires politiques et économiques de l’Europe. Sur ce point, Alain Soral ne mâche pas ses mots : « En soutenant une politique extérieure atlantiste qui exerce la violence militaire et qui soutient des groupes de fondamentalistes dans certaines parties du monde, nos élites cherchent à se maintenir au pouvoir, à mettre la main sur les matières premières et à continuer à s’enrichir. Moins elles ont la légitimité populaire et plus elles renforcent leur pouvoir avec l’argent et la force militaire. Et ça c’est le chemin qui mène à la dictature ; car quand des gouvernants ont peur de leurs propres peuples, ils cherchent à avoir à leurs côtés l’armée mais aussi l’argent pour payer cette armée et l’avoir ainsi sous contrôle. »

En plus de considérer la Russie comme « contrepoids politique nécessaire » à la stratégie expansive atlantiste, Alain Soral la voit aussi comme le partenaire commercial naturel de l’Europe à l’Est, avec une classe moyenne émergente qui demande de plus en plus de produits finis. « Il est très possible que demain Vladimir Poutine tende la main aux partis nationalistes si ceux-ci gagnent du terrain en Europe. Pour l’instant, il ne le fait pas pour ne pas intervenir dans la politique de l’Ouest européen. Il le ferait s’il était sûr de gagner. Mais il a contre lui Hollywood et trente ans de propagande atlantiste. » Reste à voir si la justesse des prévisions de cet analyste – qui affirme ne se tromper que rarement – se confirmera, à commencer par les prochaines élections européennes.

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