31 octobre 2014

Quelque chose de très, très intéressant s’est passé en Novorossia


Photo Within the Reach par Ole Henrik Skjelstad on 500px
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 Quelque chose d’incroyablement intéressant s’est passé en Novorossia : deux commandants novorossiens de premier plan, Igor Bezler et Alexeï Mozgovoy, ont tenté de communiquer avec les Ukrainiens qui sont dans l’autre camp. 
Igor Bezler

Je ne suis pas sûr de la date exacte des événements (tout ce que j’ai, ce sont les dates de publication sur YouTube), mais l’affaire semble avoir commencé lorsqu’Igor Bezler a accepté d’être interviewé par trois équipes de télévision en même temps : une équipe russe, une novorossienne et une ukrainienne. Ici, la grande nouvelle est, bien sûr, qu’une journaliste ukrainienne s’est vu autoriser l’accès à la ville de Gorlovka, actuellement encerclée par les forces ukrainiennes, qu’on lui a laissé parler avec la population locale, y compris des combattants, et qu’on lui a ensuite donné accès à Bezler lui-même. Comme tous les journalistes s’accusaient mutuellement plus ou moins ouvertement de « filtrer la vérité », toutes les parties ont convenu que l’enregistrement complet et non retouché de l’entretien serait mis à disposition du public sur YouTube. Maintenant, veuillez gardez à l’esprit qu’au Banderastan, les journalistes russes sont mis à l’index, que les stations de télévision russes sont interdites, et que ce qui est raconté à la population de cette Ukraine sous contrôle de la junte, c’est que ceux de l’autre côté sont des terroristes et des soldats russes. Oh, et n’oubliez pas non plus que les médias ukrainiens sont ce qu’il y a de plus dégoûtant, de plus vendu, servile et propagandiste que vous puissiez imaginer. Et puis tout à coup, au moins une équipe de télévision ukrainienne accepte de montrer le visage de l’un des commandants novorossiens les plus redoutés, et on lui laisse dire ce qu’il pense ! 
Alexeï Mozgovoy

Mais l’événement qui a suivi fut encore plus étonnant. Alexeï Mozgovoy donna son accord pour une vidéoconférence non seulement avec les journalistes ukrainiens, mais avec ceux qui commandent vraiment l’armée ukrainienne sur le terrain. Voir ainsi Mozgovoy et les Ukrainiens se parler directement les uns à l’autre fut quelque chose d’absolument incroyable. Et là, je dois présenter des excuses. Je ne vais pas demander à nos traducteurs de traduire et de sous-titrer le tout. Tout d’abord, il n’y a pas eu une, mais deux de ces vidéoconférences. Ensuite, nous parlons de trois longues vidéos, que vous pouvez visionner par vous-même :

Interview de Bezler : publiée le 21 octobre 2014
http://youtu.be/uVN2wkuL88w (longueur : 2 heures 17 min)

Première vidéoconférence de Mozgovoy : publiée le 22 octobre 2014
http://youtu.be/WYy5Y9MQozA (longueur : 1 heure 20 minutes)

Seconde vidéoconférence de Mozgovoy : publiée le 28 octobre 2014
http://youtu.be/tC7YGe0SmqQ (longueur : 1 heure 51 minutes)

J’espère que quelqu’un quelque part traduira tout cela, mais c’est pour moi une charge beaucoup trop lourde de le demander à l’un de nos bénévoles.

En outre, ce sont des vidéos très complexes. Il y a des discussions, quelques courts instants de cris et d’interruption, il y a des propos qui se superposent et il y a même deux chansons. Tout cela est complexe, très émouvant, très difficile à rendre dans une traduction. D’ailleurs, qui aura le temps de rester assis à visionner tout cela ?

Non, ce que je me propose de faire, c’est de partager avec vous les éléments qui m’ont tellement frappé.

Mais d’abord je dois préciser un point important : alors que l’idée originale avait apparemment été de laisser des combattants parler à des combattants, la partie ukrainienne n’a présenté que quelques commandants et quelques militants. Le camp novorossien était, lui, composé de soldats réels. Apparemment, il semble que la partie ukrainienne ne se soit pas sentie à l’aise avec l’idée de mettre ses fantassins sur le coup.

En tout premier lieu, il a été étonnant de voir tout ce sur quoi les deux côtés étaient entièrement d’accord. Les deux parties ont convenu que cette guerre était inutile et ne profitait qu’aux ennemis de l’Ukraine. Les deux parties ont exprimé leur mépris, leur dégoût et même de la haine pour les hommes politiques au pouvoir et pour les oligarques qui règnent aujourd’hui sur le Banderastan. Les deux parties conviennent également de ce que M. Ianoukovitch était une ordure, que les protestations de Maidan étaient tout à fait légitimes, mais que les manifestations d’origine ont été détournées par des ennemis de l’Ukraine. Les deux parties sont également d’accord pour estimer que cette guerre devait être arrêtée. Maintenant, s’il vous plaît, gardez à l’esprit que les nazis ukrainiens n’étaient, bien sûr, pas invités. C’étaient là principalement des représentants de l’armée régulière ukrainienne parlant à des soldats novorossiens, et des militants ukrainiens parlant à Mozgovoy. Il y a eu aussi de vrais désaccords.

La position ukrainienne était celle-ci (ceci est une paraphrase, et non une réelle citation) : « Maidan était légitime et correct, mais vous – les Novorossiens – vous avez pris les armes et vous avez ainsi créé une crise que la junte illégitime a utilisée, et qui nous a empêchés de défendre nos objectifs politiques. Nous ne voulons pas que notre pays soit davantage morcelé, et ce que vous faites, c’est exactement cela. En outre, nous savons que ces Russes, les « hommes armés vêtus de vert et bien polis », se battent à vos côtés, et que beaucoup d’entre vous ne représentent en fait pas les vrais intérêts ukrainiens, mais les intérêts russes. Cessez les combats, et rejoignez le processus politique afin de nettoyer notre pays des dingues. »

A quoi Mozgovoy a répondu (ceci est une paraphrase, et non une réelle citation) : « Nous n’avons pas choisi de nous battre, vous êtes venus sur notre terre et vous tuez nos gens. Si vous voulez vraiment nettoyer Kiev de la racaille nazie, alors ne restez pas entre nous et Kiev, et laissez nous passer : nous prendrons soin d’eux, aucun problème. Vous recevez vos ordres des Nazis et des oligarques, et vous ne faites rien pour les empêcher de tuer notre peuple. Si nous devions déposer les armes, nous nous ferions tous massacrer. »

Une chose intéressante, c’est que, lorsque les Ukrainiens ont accusé les Novorossiens de faire le jeu de la Russie, Mozgovoy leur a répondu qu’ils étaient des pions de la CIA et, étonnamment, les Ukrainiens ont pratiquement admis que c’était bien la CIA qui menait la danse. Quant à Mozgovoy, il n’a pas nié que la Russie apportait son aide.

Les deux parties ont exprimé leur frustration de ne pouvoir unir leurs forces pour, conjointement, se débarrasser des oligarques et des Nazis.

Au cours de l’entrevue avec Bezler, il y a eu un moment extraordinaire lorsque l’équipe ukrainienne lui a demandé s’il parlait ukrainien, et qu’il a répondu que « oui ». Peu convaincus, les Ukrainiens lui ont demandé s’il pouvait réciter un poème du célèbre poète Taras Shevchenko. Alors, à la surprise de tout le monde, Bezler a récité le poème « Pour les Polonais », dans lequel Sevchenko décrit combien les cosaques étaient heureux,

Jusqu’à ce qu’au nom du Christ
Les ksʹondzy [ксьондзи, prêtres (latins)] viennent mettre le feu
A notre tranquille paradis. Et répandent
Une immense mer de larmes et de sang,
Et tuent et crucifient les orphelins
Au nom du Christ.
Les Cosaques, alors, ont baissé la tête
Comme de l’herbe piétinée,
L’Ukraine a pleuré et gémi !
Et, une tête après l’autre,
Elle est tombée au sol. Comme une enragée,
La langue furieuse d’un prêtre
A crié : « Te Deum ! Alléluia !… »
Et voilà comment, mon ami polonais et mon frère!
Des prêtres maléfiques et des hommes riches
Nous ont séparés l’un de l’autre
Quand nous aurions pu vivre heureux ensemble.

[NB : la traduction est de moi, car je ne suis pas parvenu à trouver ce poème en anglais où que ce soit ; comme tout Russe, je comprends en gros l’ukrainien, mais il peut m’arriver assez facilement de me méprendre sur tel mot ou telle expression ; donc, caveat emptor, ne prenez pas cette traduction pour argent comptant ! Le Saker]

Il était tout à fait étonnant d’entendre à quel point Bezler parlait bien ukrainien, et étonnant de voir comment il s’est servi de cette occasion pour rappeler à ses homologues ukrainiens combien déjà, par le passé, ils ont été utilisés et manipulés par les occidentaux qui haïssaient la Russie et l’orthodoxie et cela, il l’a fait en utilisant des vers de leur propre héros national !

A un autre moment, assez surréaliste, un soldat novorossien a sorti une guitare et a chanté une chanson sur la guerre. Les Ukrainiens ont été manifestement touchés, mais ils ont également été perturbés par le fait que la chanson, en plusieurs endroits, parlait de « Russes combattant des Russes ». Cette question est revenue à plusieurs reprises dans la suite de la conversation. Du point de vue novorossien, les Ukrainiens aussi font partie de la « sphère culturelle russe» (par opposition à leur Etat ou à leur nationalité) même s’ils parlent avec un accent différent et ont une histoire différente. Les Ukrainiens, eux, ont insisté sur le fait qu’ils sont de nationalité différente, quoiqu’ils aient des liens étroits avec la « sphère culturelle russe ».

Au cours des deux entretiens avec Bezler et avec Mozgovoy, la question des prisonniers a été soulevée. Les deux parties ont déclaré que leurs hommes étaient maltraités et même torturés en captivité. Fait intéressant, lors de l’entrevue avec Bezler, deux responsables ukrainiens étaient présents, un militant des droits de l’homme et un autre qui représentait le ministère ukrainien de la Défense pour la question des prisonniers de guerre. Ils ont tous deux admis sans difficulté que Bezler traitait les prisonniers ukrainiens non pas du tout comme des prisonniers, mais comme des hôtes : ils étaient libres de se promener, ils mangeaient et dormaient avec les hommes de Bezler, ils étaient traités avec gentillesse et hospitalité. En une certaine occasion, il leur a même donné du caviar rouge à manger ! Mais le même Bezler a ouvertement admis que « nous faisons pas de prisonniers dans les escadrons de la mort nazis », confirmant ce que j’ai moi-même dit de nombreuses fois : la gentillesse et la générosité de la Russie envers les prisonniers de guerre ukrainiens s’étend seulement aux unités de l’armée régulière ; les membres des escadrons de la mort qui sont capturés sont exécutés sur le champ.

Il y a comme cela des centaines de petits moments et échanges que je souhaiterais pouvoir vous partager, mais cela prendrait trop d’espace et de temps. Je dirais simplement qu’il était tout à fait étonnant de voir ainsi des ennemis se parler de manière aussi amicale. Je suis également étonné de constater avec quelle facilité les Ukrainiens ont reconnu que l’Ukraine devait se débarrasser des Nazis et des oligarques. En plusieurs occasions, des deux côtés il a été déclaré : « Faisons cela ensemble ! ». Dans d’autres, c’était plus douteux. Franchement, je suis très impressionné par le courage et la décence de la plupart des Ukrainiens présents lors de ces entretiens : tout en maintenant leur position sur la question de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ils ont dit tout à fait ouvertement combien ils détestaient les Nazis et les oligarques. J’espère vraiment que Dieu protègera ces hommes pour leur courage.

Tant Bezler que Mozgovoy avaient l’air très, très bien. Le second, surtout, m’a surpris en déclarant explicitement que son objectif était un changement de régime à Kiev et pas seulement la séparation de la Novorossia d’avec l’Ukraine, chose qu’il voit clairement comme une solution temporaire et seulement comme une indispensable mesure d’auto-défense. De toute évidence, Bezler et Mozgovoy sont tous deux avant tout des antinazis, et tous deux comprennent qu’il n’y a pas de « solution novorossienne ». Mozgovoy a explicitement déclaré qu’il pense que les deux parties pourraient vivre ensemble si les Ukrainiens se débarrassaient de leurs Nazis et des oligarques.

Bien que j’aie toujours dit que la seule solution stable réellement envisageable à la crise était une dénazification de l’Ukraine et une conversion du Banderastan actuel en une Ukraine « saine d’esprit », je ne suis pas naïf et je vois aussi que cela peut prendre une décennie voire davantage. Néanmoins, en constatant comment Mozgovoy et ses homologues ukrainiens étaient d’accord sur la nécessité de dénazifier et de déoligarchiser (est-ce que ces deux mots existent ?), je dois reconnaître qu’il y a de l’espoir parce que, si l’on fait le compte, les deux parties ont beaucoup plus en commun que ce qui les sépare !

Encore une fois, c’était des Ukrainiens ordinaires, non des dingues des escadrons de la mort nazis, je le comprends bien. Et les deux parties sont en désaccord sur certaines questions fondamentales, je le vois également. Mais je vois aussi qu’il existe une base, un minimum en commun, à négocier. Il n’est pas besoin d’une guerre d’extermination.

L’Ukraine telle que nous la connaissions est morte. Désormais, la Crimée et la Novorossia sont parties à jamais, et l’Ukraine-croupion que j’appelle « Banderastan » est occupée par la CIA américaine, les Nazis ukies et les oligarques. Mon espoir, c’est que de la même façon que la guerre civile ukrainienne s’est changée en guerre pour l’autodétermination et la libération de la Novorossia, de même la guerre pour l’autodétermination et la libération de la Novorossia se transformera en une guerre pour la libération du Banderastan de ses occupants US/nazis/oligarques. Si cela se produit et si une nouvelle Ukraine finit par émerger, alors je ne doute pas que les gens de l’Ukraine seront d’accord pour que chaque région ait un droit à l’autodétermination, allant d’un simple droit culturel à la séparation complète. Alors seulement nous saurons vraiment quelles régions veulent rester, et lesquelles veulent quitter l’Ukraine pour toujours.

En attendant, je suis très positivement impressionné par les commandants novorossiens qui sont sur le terrain. Bezler et Mozgovoy bien sûr, mais aussi Givi, Motorola, Zakharchenko, Kononov et les autres sont tous des personnalités fortes, capables à la fois de combattre et de parler. Strelkov, hélas, se trouve toujours plus ou moins dans un no man’s land politique, et je suis très préoccupé par sa proximité avec le blogueur el-Murid, qui est clairement une « passerelle » pour les « patriotes du hourra » et les « détracteurs de Poutine », lesquels sont utilisés par l’Empire pour tenter de discréditer Poutine. Pour autant, les luttes intestines entre les dirigeants politiques novorossiens se poursuivent, et il n’y a toujours pas de leader incontesté. Espérons que les prochaines élections permettront de résoudre ce problème.

Le Saker
Traduit par Goklayeh pour vineyardsaker.fr

Source : Something very, very interesting has happened in Novorussia (vineyardsaker, anglais, 29-10-2014)

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