18 décembre 2014

2015 va consacrer l'effondrement du monde occidental tel qu'on l'a connu depuis 1945


Depuis près de deux ans, en combinant divers angles (spéculatifs, géopolitiques, technologiques, économiques, stratégiques, monétaires...), nous n'avons cessé d'anticiper une crise majeure de tout le secteur pétrolier. Aujourd'hui, plus personne ne doute du fait que nous y sommes bien, et le GEAB se doit donc d'anticiper les conséquences de cette véritable bombe atomique qui commence à souffler tous les piliers de l'ancien système : monnaie internationale telle qu'on l'a connue, marchés financiers tels qu'on les a connus, États-Unis tels qu'on les a connus, alliance occidentale telle qu'on l'a connue, gouvernance mondiale telle qu'on l'a connue, démocratie telle qu'on l'a connue, etc.

« Crise systémique globale : la fin de l'Occident tel qu'on le connaît depuis 1945 »

Nous souhaitons ici faire un retour sur l'anticipation historique du GEAB, celle de Franck Biancheri en février 2006, qui annonçait le déclenchement d'une crise systémique globale sous le titre La fin de l'Occident tel qu'on le connaît depuis 1945 (1). Ce monde occidental aura donc mis neuf ans à s'effondrer (ou sept ans, si l'on fait débuter le processus avec la crise des subprimes de 2008 comme il est de rigueur de le faire)... Durant ces neuf années, le GEAB a fait œuvre de pédagogie de la crise dans le but avoué de contribuer à relever toutes les solutions qui existaient pour en sortir le plus rapidement et le moins douloureusement possible. Apparemment, en dehors du travail effectué par les BRICS qui, comme anticipé également dans le GEAB, ont abattu une tâche énorme pour poser les fondements du monde de demain, le monde occidental, quant à lui, a bien fait ici et là quelques efforts dont nous décelons les signes par endroits. Mais, en cette fin 2014, et à l'issue de l'énorme déstabilisation causée par le crash des relations euro-russes dans la crise ukrainienne, notre équipe a beaucoup de mal à se projeter dans un scenario positif pour l'année à venir.

2015 va pourtant consacrer l'effondrement complet du monde occidental tel qu'on l'a connu depuis 1945. Ce sera un gigantesque ouragan qui va souffler et faire tanguer la planète entière, mais les points de ruptures se situent dans le « Port de l'Occident », qui n'est plus un port depuis longtemps, mais va clairement se révéler en 2015 avoir été l'œil du cyclone, comme nous n'avons cessé de le répéter depuis 2006. Alors que certains bateaux tentaient de prendre le large, la crise ukrainienne a eu pour effet d'en ramener une partie au port et de les ré-amarrer fermement. Malheureusement, c'est le port lui-même qui secoue les bateaux et ce sont ceux dont les amarres sont les plus solides qui casseront les premiers. Nous pensons bien sûr à l'Europe au premier plan, mais plus encore à Israël, aux marchés financiers et à la gouvernance mondiale.

La paix est bien entendu en jeu, une paix qui n'est d'ailleurs plus qu'un vain mot. Demandez à la Chine, à l'Inde, au Brésil, à l'Iran, etc., si l'Occident véhicule encore une quelconque image de paix. Quant aux valeurs démocratiques, ce que nous en montrons fait plus office de repoussoir que de modèle... au point que le principe universel de démocratie est relégué au rang des concepts culturellement relativisables et finit par servir les agendas anti-démocratiques de tout acabit, en Europe et ailleurs. Et pourtant ce n'est pas le principe démocratique qui pose problème (il faut au contraire en réinventer les modes d'application, en partenariat avec les nouvelles puissances émergentes), mais bien l'incapacité des Occidentaux à avoir su adapter sa mise en œuvre aux nouvelles caractéristiques sociétales (émergence d'entités supranationales de facto politiques, Internet qui transforme la structure sociale).

La crise pétrolière est systémique parce qu'elle est liée à la fin de l'ère du tout-pétrole

Revenons également un instant sur les principales caractéristiques de cette crise systémique pétrolière telle que nous l'avons analysée. De manière très résumée, et afin de faire ressortir la nature systémique de cette crise pour mieux asseoir la suite de nos anticipations, c'est le système de gouvernance mondiale du marché du pétrole, l'OPEP, qui a été mis à mal. Les États-Unis, qui en étaient les maîtres jusqu'en 2005 (2) environ, ont vu arriver les émergents dont les niveaux de consommation en faisaient inévitablement des co-maîtres.
Consommation de pétrole : en rouge, par les États-Unis, l'Europe occidentale et le Japon ; en bleu, par le reste du monde. Source : Yardeni / Oil market intelligence.

Il aurait fallu bien sûr acter ce changement par une réforme du système antérieur de gouvernance pour mettre tout le monde dans le même club. Au lieu de cela, effrayés à l'idée d'une augmentation des cours du pétrole à laquelle l'économie américaine, totalement dépendante de cette matière première (contrairement à l'Europe) faute d'avoir investi de manière significative et coordonnée dans les énergies renouvelables notamment, était incapable de résister, les États-Unis ont décidé de briser toute logique de coordination mondiale en créant un marché concurrent, le marché du schiste, destiné à faire baisser les prix. On sait malheureusement à quoi aboutit généralement la compétition en matière d'accès aux ressources énergétiques... l'Europe, au moins, est censée le savoir (3).

Production de pétrole de schiste aux États-Unis - Source : HPDI, LLC

À cette rupture majeure de tendance, se combine une autre tendance lourde, bien peu évoquée actuellement dans les médias, celle de la fin du pétrole comme source principale d'énergie de l'économie mondiale. Et c'est ce deuxième facteur qui rend la situation totalement incontrôlable actuellement. Les cours dévissent parce que l'ère du pétrole se termine et personne n'y peut rien. Nous l'avons anticipé il y a plusieurs mois (4) : la Chine se prépare à un parc automobile tout-électrique (5), et, ce faisant, fera passer le parc automobile mondial au tout-électrique - une fois que la technologie sera au point et que la massification sera inéluctable, tout le monde passera en effet à l'électrique. Nous avons anticipé que cette transformation serait en place dans moins de 10 ans et que, dans 5 ans, le point d'inflexion en matière de consommation serait atteint. Or, une année au moins a déjà passé depuis cette anticipation. Quatre ans, c'est un horizon que commencent à percevoir les spéculateurs de tous poils (6).

En réalité, le « pic pétrolier » est ce que LEAP appelle une « anticipation réussie » : sa mise en perspective a permis d' « éviter » le problème. Peur d'une pénurie et d'une explosion des prix, bonnes et mauvaises stratégies de contournement (renouvelable et schiste), le tout combiné à un énorme ralentissement économique et, en point d'orgue, un agenda écologique dont on notera la reprise active depuis cette année (7), et le monde est « prêt » à clore l'ère pétrole... À ceci près que les acteurs existentiellement liés à cette matière première vont se faire violemment entendre avant de disparaître.

Là encore, que nos lecteurs ne se méprennent pas : le pétrole continuera encore longtemps à être utilisé pour faire tourner moteurs et usines du monde (il a même à nouveau de nombreuses années devant lui puisque le risque de pénurie est ainsi repoussé de plusieurs décennies), mais l' « ère » du pétrole souverain se termine et cela constitue bien sûr un changement systémique.

Dans la partie Télescope, nous élaborons sur les conséquences de la crise systémique pétrolière, sur les marchés financiers notamment. Ces marchés financiers, qui ont bien « résisté » à six longues années de crise, étouffant dans leurs bras mécaniques l'économie réelle et prouvant à quel point ils étaient le nœud du problème, ne survivront pas en l'état au choc que s'apprêtent à encaisser d'une part l'industrie pétrolière, acteur central, et d'autre part le dollar, outil principal de la planète-finance. Mais d'autres bombes sont prêtes à exploser - comme si celle-ci ne suffisait pas...

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(1) Source : LEAP/Europe2020, 15 février 2006

(2) En réalité le début de la hausse des prix du pétrole date de 2003. Et c'est en 2006 qu'ils commencent à exploser. Mais 2005 constitue une date récurrente dès qu'on analyse la hausse des tarifs à l'aune de la consommation des émergents au lieu de celle des aléas de la géopolitique moyen-orientale, et de manière générale dès qu'on observe la montée en puissance des émergents.

(3) Les deux guerres mondiales du début du XXe siècle sont intrinsèquement liées à une compétition dans l'accès aux ressources énergétiques (source : Cambridge Journals, 09/1968), raison pour laquelle les Communautés européennes au sortir de la Deuxième Guerre mondiale sont nées de la mise en commun des ressources, soit la CECA (source : Wikipedia), un projet qui aurait dû rester l'un des fils conducteurs de la construction européenne alors que la crise ukrainienne révèle aujourd'hui le néant absolu qui règne en Europe en matière de politique commune énergétique. Et dire que certains trouvent qu'on souffre de trop d'Europe ! La construction européenne s'est en réalité arrêtée en 1989... occupée à réglementer la taille des concombres et à libéraliser tout le reste : « l'Europe du concombre »...

(4) Dans nos recommandations de janvier dernier (GEAB N°81) sous le titre La Chine passe à l'électrique. Source : LEAP/E2020, 15/01/2014

(5) Source : Bloomberg, 09/02/2014

(6) Pour ceux qui doutent de la réalité de cette évolution, il y a cette récente et incroyable décision de l'Allemagne (incroyable parce que complètement contre-intuitive avec la baisse actuelle des cours du brut) de miser tout sur les énergies renouvelables et de faire un paquet de tout ce qui est nucléaire-gaz-pétrole-charbon pour s'en débarrasser. Source : Deutsche Welle, 01/12/2014

(7) Nous avons pris note le mois dernier des résultats très concrets obtenus en matière de promesses de réduction des émissions de CO2, y compris de la part des États-Unis, sous la houlette des Chinois. Et même si le Sommet de Lima ne semble pas produire pour sa part beaucoup de résultats, c'est surtout parce que les pays pauvres font mine de continuer à croire que ce sont les dollars de l'Occident qui vont financer leur transition énergétique. Mais sur le fond, l'agenda environnemental est très dynamique en ce moment, essentiellement parce qu'il coïncide pour la première fois avec les objectifs stratégiques de la première (ou deuxième) puissance mondiale, la Chine.


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