05 décembre 2014

GEAB : Alerte risque de Très Grand Divorce dirigeants de l’UE / peuples européens

Notre équipe présente ici un scenario très sombre correspondant à un danger d’évolution qui a toujours été là mais dont la probabilité était équilibrée, voire inférieure, à celle d’une transition hors de la sphère d’influence américaine vers un monde multipolaire à l’émergence duquel l’Europe pouvait contribuer utilement. La crise ukrainienne a enclenché un déraillement de l’Europe qui fait désormais exploser le risque d’une dérive de l’Europe hors des voies d’avenir, de paix, d’indépendance et de démocratie à une probabilité inquiétante que nous évaluons à 85%. À ce titre, il mérite d’être présenté en détail.
Dans le GEAB N°1 de janvier 2006, Franck Biancheri (coordinateur de la publication jusqu’à son décès en octobre 2012) décrivait la séquence suivante des étapes de la crise :

1. Crise de confiance en le dollar
2. Crise des déséquilibres financiers US
3. Crise pétrolière
4. Crise du leadership américain
5. Crise du monde arabo-musulman
6. Crise de la gouvernance mondiale
7. Crise de la gouvernance européenne

Le fait est que c’est bien à cette dernière étape de la liste d’événements anticipés par Franck Biancheri dès janvier 2006 que nous nous situons. Et, depuis plusieurs mois déjà, le GEAB s’attache à rendre compte de la crise politique qui frappe désormais l’Europe en décrivant l’effondrement du cadre de gouvernance post-Traité de Maastricht et en tentant de montrer qu’une piste de résolution de crise existe bien et qu’elle se situe du côté de l’Euroland.

Si l’on se demande pourquoi cette liste s’arrêtait à cette étape de crise politique européenne, la situation actuelle nous donne la réponse : autant les étapes précédentes s’enchainent les unes aux autres logiquement, autant selon la nature du dénouement de la dernière des scenarii radicalement différents s’ouvrent pour la suite des événements. L’UE va-t-elle imposer son effondrement ou les logiques d’avenir eurolandaises parviendront-elles à trouver leur chemin ?

L’EUROPE, À LA CROISÉE DES CHEMINS, A PRIS LE MAUVAIS
Depuis plusieurs mois également, nous évoquons l’idée d’une Europe à la croisée des chemins. Par ailleurs, LEAP en général préconise depuis longtemps un rapprochement Euro-BRICS comme condition d’une coopération non-conflictuelle entre les différents pôles mondiaux. Mais aujourd’hui, l’Europe a commencé à perdre le sens de son destin, de ses responsabilités et de ses valeurs… en même temps que son indépendance et ses promesses de paix.

Nous avons abondamment décrit dans le précédent numéro les conséquences néfastes pour l’indépendance de l’Europe de la construction d’un nouveau rideau de fer sur sa frontière orientale. Un mois plus tard, la rhétorique de la guerre froide continue à être exploitée par l’ensemble de notre classe politique, de nos médias et de la bureaucratie bruxelloise.

Les hypothèses que nous avons posées il y a un mois (55) demeurent : dans le cadre des négociations relatives à la signature d’un accord de libre-échange UE-Ukraine, les Occidentaux, États-Unis en tête, ont obligé l’Ukraine à choisir son camp en rejetant la proposition constructive russe pour une négociation tripartite (russo-ukraino-européenne) qui aurait permis de trouver un accord satisfaisant pour toutes les parties de facto concernées. Obligée à choisir, l’Ukraine s’est divisée et a perdu sa liberté et son statut de pays-tampon, garant de relations fluides entre Europe et Russie. De cette situation découle logiquement la confrontation Europe-Russie, accentuée par les positions belliqueuses et autoritaires des États-Unis intervenant sans cesse en la matière, déséquilibrant les relations extérieures européennes et poussant l’UE dans les bras des États-Unis-OTAN. Retour sur le devant de la scène des logiques parfaitement anachroniques de guerre froide et d’une OTAN en perte caractérisée de vitesse depuis la chute du Mur; augmentation considérable des chances de signature d’un TTIP perdu d’avance dans le contexte antérieur; ouverture de pistes tous azimuts en matière de partenariat énergétique UE-US, etc. Bipolarisation du monde à l’heure du multipolaire (56), américanisation de l’Europe au moment où les scandales liés à la NSA étaient sur le point d’acter son désalignement, émergence d’une nouvelle idéologie « occidentaliste » contrevenant à tous les principes de globalisation tant vantés par l’Occident et peu à peu adoptés par le reste du monde, un rideau de fer tombe à nouveau sur l’Europe avec la complicité active de la plupart de nos gouvernements.

LA « DÉSAMÉRICANISATION » DE L’EUROPE N’A PAS EU LIEU
Car, contrairement à ce que le « débat public » sur la crise ukrainienne semble indiquer, la vraie question n’est pas de savoir si Poutine a eu tort ou raison de récupérer la Crimée, mais comment peut-on accepter que les États-Unis s’ingèrent à un tel degré dans les affaires étrangères européennes (57)?

On se souvient en effet du silence retentissant des gouvernements nationaux face à la folie guerrière qui s’est emparée de Bruxelles et de nos médias le mois dernier. Aujourd’hui la situation s’est empirée : nos gouvernements ne sont plus seulement silencieux, ils participent activement à l’œuvre de division. La France demande l’annulation du sommet UE-Russie (58), les pays baltes demandent l’installation de troupes de l’OTAN sur leurs territoires (59), la Pologne diminue ses importations russes en gaz (60), la Finlande et la Suède font mine de paniquer à l’idée d’une invasion russe de leurs pays(61)… L’intox est à son comble, désormais emmenée par de nombreux gouvernements nationaux, et toujours ce silence de la part des autres…

L’appel chinois à la « désaméricanisation du monde » nous revient ainsi en mémoire. La mise en garde a été suivie d’effets dans certains pays : le grave différend diplomatique entre l’Inde et les États-Unis(62) ou le sommet CELAC en Amérique du Sud(63) sonne le glas de l’influence US dans ces zones stratégiques majeures. La crise des écoutes de la NSA fournissait l’occasion de se dégager des circuits d’influence américaniste présents dans les appareils de nos États, et a d’ailleurs été utilisée dans ce sens jusqu’à la crise ukrainienne (64).

POLOGNE, ITALIE, QUELQUES CAS CONCRETS DE RÉ-AIGUILLAGE
En revanche, on peut suivre assez précisément le basculement d’autres pays dans le camp occidentaliste.

Le cas de la Pologne est emblématique. Au terme du règne des très atlantistes frères Kaczyński, l’élection de Donald Tusk comme Premier Ministre en 2007 semblait signaler la sortie de la Pologne de l’ère post-chute du Mur. Le nouveau dirigeant mène une politique résolument pro-européenne, anti-missiles américains et travaille à restaurer les liens avec la Russie… jusqu’en juillet 2008. C’est à cette date qu’il refuse pour la dernière fois l’installation du bouclier anti-missile que les États-Unis n’ont de cesse de lui imposer. Car en août 2008, il capitule et déclare que « grâce au bouclier, l’Amérique et la Pologne seront plus en sécurité ». Quels arguments ont bien pu retourner Donald Tusk sur une position aussi capitale ? Mystère. Quoi qu’il en soit, la Pologne de M. Tusk a joué et joue encore un rôle primordial dans l’escalade de tensions Euro-Russes (65).

Plus récemment, le coup d’État de Matteo Renzi Italie, véritable porte-avion de l’OTAN, assure certainement les États-Unis d’une bonne coopération avec ce pays. Renzi est un homme de gauche de l’étoffe des Clinton, Blair, Schröder, Obama, Strauss-Kahn, etc. : gauche acquise aux thèses néo-libérales d’inspiration anglo-saxonne, bien pratique pour passer les mesures anti-sociales qui provoquent des levées de bouclier lorsqu’elles viennent de la droite. La LSE le qualifie d’ « ami de l’Amérique et européiste (66)» , une combinaison qui fait désormais frémir....


Notes : 

(55) Source : Communiqué public GEAB N°83, LEAP/E2020, 15/03/2014.
(56) À ce sujet, lire l’article «Crise ukrainienne : un coup dramatique porté au rapprochement Euro-BRICS et à l’émergence du monde multipolaire » publié par le réseau Euro-BRICS de LEAP. Source : LEAP/Euro-BRICS, 04/04/2014 (57) Ce sont les États-Unis qui ont anticipé et guidé toutes les réactions européennes à la crise ukrainienne : ils ont été les premiers à s’offusquer du choix de Ianoukovitch en faveur de l’accord russe, ont poussé nos dirigeants aux sanctions (Financial Times, 30/03/2014), nous injurient lorsque nous n’obtempérons pas assez vite (The Guardian, 07/02/2014), décident de la date de signature du Traité UE-Ukraine (EU Business, 13/03/2014), installent leurs troupes en lieu et place de l’OTAN aux frontières orientales de l’UE (ABC, 09/04/2014), etc. Les États-Unis créent la guerre en Europe sans qu’aucun gouvernement européen ne trouve la force de répartir. (58) Source : Deutsche Welle, 20/03/2014 (59) Source : Financial Times, 09/04/2014 (60) Source : The Economist, 04/04/2014 (61) C’est un journal américain qui est obligé de les ramener à la raison. Source : Washington Post, 09/04/2014 (62) Source : Reuters, 13/03/2014 (63) Source : MercoPress, 28/01/2014 (64) Source : Deutsche Welle, 20/03/2014 (65) Pour s’en convaincre, il suffit de taper « Tusk + Ukraine » dans Google. (66) Source : LSE, 29/11/2013 
 

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