28 novembre 2015

Une barbarie peut en cacher une autre


Jure George Vujic est un écrivain franco-croate, avocat et géopoliticien, diplômé de la Haute École de guerre des forces armées croates. Directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, il contribue aux revues de l’Académie de géopolitique de Paris, à Krisis et à Polémia. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine de la géopolitique et de la politologie.

Les derniers attentats parisiens constituent une étape supérieure dans la surenchère de la terreur et révèlent l’impact psychologique de cette nouvelle stratégie de la tension employée par l’État islamique en France et en Europe.

En effet, alors que les attentats contre Charlie Hebdo étaient ciblés contre la rédaction du journal, les attentats de ce week-end touchent au cœur de la population, avec plusieurs frappes simultanées et essentiellement dirigées contre la population civile. La spirale attentat-répression et les bombardements aériens en Syrie n’empêcheront pas, hélas, la prolifération du terrorisme islamiste en Europe, qui manipule et infiltre les vagues migratoires, alors que les technocrates bruxellois s’offusquent à la vue du moindre barbelé aux frontières européennes. On s’achemine tout droit vers le scénario d’une transposition pure et simple sur le sol européen d’une guerre civilisationnelle et ethno-confessionnelle longtemps programmée dans les laboratoires de l’oligarchie mondialiste.

En écoutant les réactions des officiels de l’Establishment, qui fustigent la « barbarie » de l’État islamique, comment ne pas constater l’impuissance politique et morale de l’Occident á se confronter aux véritables causes de cette « barbarie » au lieu de persister dans l’erreur et d’assainir les symptômes ? En effet, persister dans l’alignement sur une politique belliciste atlantiste néocoloniale au Moyen-Orient en s’appuyant sur l’Arabie Saoudite wahhabite, principale exportatrice du fondamentalisme islamiste, est bel et bien une posture schizophrène et suicidaire. En effet, une barbarie peut en cacher une autre, et la « barbarie » bestiale et meurtrière de l’État islamique sert trop souvent de repoussoir compassionnel à une autre « barbarie civilisationnelle », celle d’un Occident matérialiste et mondialisé, qui souffre d’une perte de sens identitaire, historique et ontologique.

Cette barbarie intérieure, intime, indolore et sournoise qui, derrière le drapeau de la civilisation matérielle, marchande et libérale, les tintamarres républicains et les mélopées pleurnichardes de la Marseillaise, semble encore une fois prêcher par déraison. C’est pourquoi il faudra traquer et châtier sans scrupules les auteurs de ces abominables massacres. Mais il faudra aussi garder à l’esprit la responsabilité des chiens de garde et des porte-paroles de cette barbarie civilisationnelle et mondialiste, qui depuis des décennies plonge les peuples européens dans l’irénisme pacifiste et humanitariste, ceux qui apprennent à notre jeune génération à baisser sa garde, à avoir honte de soi, de sa propre culture, de sa nation, celle qu’on assomme depuis la décolonisation à coups de marteau culpabilisateur. Il faut se souvenir de cette phrase de Lacordaire : « Les peuples s’éteignent et disparaissent dans l’agonie insensible d’un repos confortable. D’autres disparaissent dans l’ivresse des fêtes en chantant des hymnes à la victoire et l’éternité. » C’est pourquoi l’hyperfestif et la liberté illimitée de jouir comme mode de vie occidental sont solubles dans l’humanitarisme compassionnel, qui n’a jamais rien résolu.

Rendons-nous une fois à l’évidence, au nom de la civilisation occidentale, rationaliste et marchande, au nom de la sacro-sainte démocratie de marché : une nouvelle barbarie indolore et insidieuse s’est installée chez nous, dans nos têtes, notre habitus mental. C’est pourquoi il ne suffit pas de s’en référer pathétiquement à la défense de « notre façon de vivre » comme si notre culture europénne millénaire était réductible aux images d’Épinal d’un parisianisme bobo de pacotille, à l’hystérie ostensible de la consommation, la permissivité et l’hédonisme généralisés, le cynisme moqueur qui se rit de tout, tout ce qui fait les matrices sociétales et idéologiques de l’occidentisme post-moderne. Le politologue américain Benjamin Barber décrit ce « village mondial » anglo-saxon et occidental comme une civilisation McWorld, une sorte d’oumma anglo-saxonne en tant que contre-monde en opposition au Califat de l’Age l’or, une sorte d’oumma originelle et fantasmagorique.

J’écoutais le témoignage d’un passant à proximité des lieux d’attentats dire que « c’est la faute au communautarisme » et que « la France était avant tout une nation à laquelle il faudrait croire et adhérer ». Oui, mais avant d’adhérer à la nation, il faudrait préalablement qu’il existe un sentiment partagé d’appartenance à une communauté nationale, une volonté de vivre ensemble un certain « projet commun » dans les sens renanien du terme. Or c’est cela qui fait défaut : le marché, la consommation, la laïcité, l’égalitarisme républicain, le multiculturalisme ne constituent plus les vecteurs de référence des deuxièmes voire des troisièmes générations d’immigrés, le plus souvent plongées dans le désarroi social dans les banlieues et cités-dortoirs des grandes villes françaises. Le mode intégrationniste français ou communautariste anglais a failli partout en Europe et il va falloir reconstruire sur de nouvelles bases culturelles et sociales le lien d’appartenance nationale.

La civilisation occidentale n’est pas synonyme de la culture européenne. L’Occident matérialiste et marchand ayant proclamé le nouveau règne de l’individu-roi, du fondamentalisme séculier, a chassé et banni le culturel européen, l’organique, l’enraciné et le différencié, le point de référence et de liaison sociale, politique et identitaire. De l’autre côté, en évacuant le fondement culturel, la référence historique et le principe territorial, un autre islam hybride a-culturel, a-historique et globalisé s’est autogénéré tel un rejeton du globalisme, dans la fantasmagorie d’un retour à l’âge d’or du Califat. Entre ces deux hydres globalistes, il sera extrêmement difficile de réinstaller en Europe des valeurs stabilisatrices fondées sur le civisme, la loyauté, le respect de la souveraineté, mais il faut pourtant s’y attacher. Les institutions qui permettent de vivre dans la paix, la liberté et la sécurité exigent la loyauté (pas nécessairement aveugle), et la loyauté exige en retour un sens de l’identité. D’autre part, comment ne pas s’interroger sur les appels pathétiques à la guerre totale contre le terrorisme de l’État islamique, comme si l’on faisait la guerre aux menaces terroristes asymétriques et à un ennemi invisible et intérieur, de front avec des moyens de guerre conventionnels. Le démantèlement des réseaux islamistes, des centres logistiques et des réseaux financiers supposera l’engagement de forces et d’actions spéciales en profondeur, dont l’envergure et la nature dépassent les législations européennes pointilleuses quant à la défense des droits de l’homme et des immigrés, sans oublier les relais médiatiques « antiracistes ».

La « culture globale » dominante est une mono-culture capitaliste marchande qui broie les identités et les cultures enracinées, y compris musulmanes. Le fondamentalisme islamiste sectaire et violent se présente alors en tant que réponse-réaction à cette culture dominante unique. La mondialisation facilite la diffusion de modes de représentation adaptés à la logique du marché et non à la dynamique des peuples. De la transmission générationnelle nous sommes passés à une transaction commerciale de la culture, du moins dans la culture dominatrice, la culture dite « occidentale ». Cette incidence est à l’origine de la crise de sens que nous connaissons et subissons. C’est pourquoi il est vain et illusoire d’en appeler au rassemblement fraternel sous l’égide de la liberté, l’égalité et la fraternité, car l’espace public n’est plus le fruit d’une transmission et d’une représentation générationnelles communes mais est déterminé par la capacité discriminatoire d’un compte en banque et de l’appartenance à une des tribus privilégiées de l’Establishment dominant. D’autre part, parallèlement à cette perte de repères, d’identité et à cette anomie sociale, le continent européen est voué au constat d’une population autochtone en cours de remplacement accéléré. Et c’est la raison pour laquelle le combat contre l’hydre islamiste et l’occidentisme marchand supposera indéniablement une réappropriation de la souveraineté sur le sol et les frontières européennes. 
 
Jure George Vujic, 17 novembre 2015

Jure George Vujic est l’auteur de l’essai Nous n’attendrons plus les barbares aux éditions Kontre Kulture (171 pages).

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