12 mai 2016

Amerigeddon et la guerre civile aux portes des USA


Le climat continue à se tendre aux USA comme si la tension était devenue la nouvelle normalité du pays, avec les effets à mesure sur les psychologies. La candidature de Donald Trump se présente de plus en plus comme l’expression politique d’un puissant courant de déstabilisation qui s’exprime avec une puissance considérable dans une “guerre civile de la communication” d’une violence extrême. Il paraît désormais de plus en plus difficile de ne pas envisager une issue paroxystique à la séquence en cours, avec la possibilité désormais envisageable du “passage à l’acte”...

(“Passage à l’acte” ? De la “guerre civile de communication” à la “guerre civile” tout court, mais dans des conditions extrêmement imprévisibles, y compris et surtout dans son engagement. Comme nous le notons constamment, la puissance de la communication permet des affrontements “de communication” d’une puissance égale à des affrontements réels, ce qui réserve des surprises extrêmes lorsque l’on passe, si c’est le cas, de la communication à l’acte lui-même de l’affrontement réel ; en effet, l’on se trouve alors, à cause des développements de la communication qui n’ont pas été perçus à leur juste gravité, à un degré de gravité opérationnelle qu’on n’envisageait évidemment pas.)

• En préliminaire, un chiffre impressionnant même s’il porte sur des quantités minimes, parce qu’il est symboliquement significatif : dans les trois premiers mois de l’année, il y a eu une augmentation de 1700% des citoyens américains décidant d’abandonner leur citoyenneté. Il ne peut être discuté une seconde que le fait de l’ascension fulgurante de Trump dans les primaires soit la cause de ce surgissement impressionnant d’abandon de la citoyenneté US. Quelques précisions sur la chose et ses diverses indications par Sputnik, le 7 mai :

« Many US citizens have decided not to chance the likely instability of a Trump presidency, with a shocking 1700% surge in the number of Americans renouncing their citizenship. In the first three months of 2016, the US Treasury Department reported that a record 1,158 individuals had renounced their citizenship. Analysts project that the true number of US expatriations in response to the threat of a Trump presidency is much higher than reported, with many individuals departing the country without formally renouncing their US citizenship or having been barred from renouncing their citizenship due to outstanding student loans... »

• La situation politique continue à évoluer dans le sens de la tension, avec un Trump qui continue à remporter des victoires écrasantes dans les primaires qui se poursuivent (60%-70% en Virginie occidentale et dans le Nebraska), alors que toute la tension politique se tourne vers la phase décisive autant que vers les divisions internes des partis. Trump se heurte toujours aux manœuvres et à la résistance de certaines fractions dans son parti, notamment celle qu’anime Ted Cruz ; il est assuré que, s’il le faut, Trump, qui s’affiche de plus en plus comme le candidat de bien plus que le parti républicain, provoquera sans hésiter une fracture décisive au sein du parti républicain. Les démocrates ne bénéficient guère de ce désordre républicain parce que leurs propres problèmes ne se résolvent pas : Sanders qui a gagné contre Clinton en Virginie occidentale persiste à aller jusqu’au bout ; les problèmes qu’une candidature Clinton pose (défection d’électeurs démocrates pour Trump) ne cesse de se confirmer, ainsi que la possibilité d’une audition par le FBI à propos d’emailgate, prévue désormais pour les prochaines semaines...

• ... Mais l’essentiel de notre propos est ailleurs. Il est basé sur l’annonce de la sortie, ce 13 mai, d’un film qui apparaît dans le circuit commercial normal de l’industrie cinématographique et qui est présenté littéralement comme un “appel à l’action pour protéger la liberté de l’Amérique” (« call to action to protect America’s freedom »), c’est-à-dire un véritable appel aux armes et à la mobilisation. Il s’agit d’un film de Mike Norris, fils de l’acteur Chuck Norris, Amerigeddon, – qui se définit également, pour que les choses soient claire, comme “le film que l’establishment ne veut pas que vous voyez” (« the movie the establishment doesn’t want you to see »)... (Si l’on veut, on peut envisager de mettre “Système” à la place de “establishment”.)

Il n’est pas nécessaire que l’acteur Chuck Norris et son fil Mike, puisque la famille semble de la même eau, soient notre tasse de thé, – c’est loin d’être le cas, – pour nous intéresser à Amerigeddon (mot évidemment formé de la contraction de “America” et “Armageddon”). Le film prend comme argument une insurrection des “patriotes”, sous une forme approchant celle des milices formées dans divers États, se soulevant contre un “centre” washingtonien qui a instauré la loi martiale sur le pays. On comprend bien entendu la forme de l’argument, et aussi bien que le film soit présenté comme anti-Hollywood autant que comme anti-establishment. Il est bien évident qu’on doit considérer cette affaire dans le cadre général d’une crise américaniste soudain portée à son point d’incandescence par la candidature de Donald Trump (tout comme l’on doit bien entendu comprendre que les Norris, à l’image de quelques autres vétérans du domaine du show business tel que Clint Eastwood, soutiennent Donald Trump en tant que candidat populiste et anti-establishment). Dans tous les cas et avant d’aller plus loin, voici quelques données de base, favorables à l’initiative, concernant Amerigeddon, présentées sur Infowars.com, qui soutient bien entendu l’opération à 100%...

« Showing what happens when a not-so-future U.S. government conspires with the United Nations to stage an attack on the energy grid, Amerigeddon depicts a country ruled by martial law in which citizens are stripped of their constitutional rights and their guns. A group of patriots fight back and rescue the country from slipping into irreversible chaos.

» Amerigeddon’s release in an election year is not coincidental. The film illustrates a dystopian future all patriots must guard against and is a call to action to preserve the Second Amendment and stop executive rule by fiat.

» Director Mike Norris, son of Chuck Norris, asks for like-minded Americans to support the film. “The fact that a recent poll showed a majority of Americans are enraged with the federal government points to a frenzy of unrest with the dictatorial way in which our country has been run,” said Norris. “My family has long been involved in protecting the rights of Americans. We are concerned about the future and and see this film as a call to action. We urge people to join us in theaters and show Hollywood and politicians that true patriots will fight for their rights and want to see their values represented on-screen.”

» A collaboration between Norris and entrepreneur and writer Gary Heavin, Amerigeddon seizes on fact-based threats and asks the ultimate question, “What happens when government turns on the people it’s supposed to protect?” Executive Producer Gary Heavin believes the film’s message warning is timely. “We made a movie that is fun to watch but it is based in reality. In Amerigeddon, survivors of an EMP attack on the United States must live in a state of martial law led by the United Nations. American soldiers must decide whom they serve, second amendment rights are curtailed and food, water and survival become our primary concerns—unfortunately, these are all likely scenarios resulting from a very real threat,” said Heavin. “I believe if we can entertain while we inform, more people will wake up; and if we hope to restore our freedom we must share the truth with as many people as possible.” »


Le propos est évident, mais avant de le développer dans le sens qui nous importe, on se débarrassera comme nous devons toujours le faire des habituelles pesanteurs de l’idéologie. Les Norris sont une famille cinématographique qui représente l’américanisme dans sa forme insurrectionnelle actuelle ; elle en a tous les défauts, largement mis en évidence par les performances cinématographiques de Chuck Norris, rassemblant très souvent la vulgarité, le manichéisme et la pensée sommaire de cette sorte d’engagement qui sacrifie beaucoup au suprémacisme, sinon à la modernité. Pour cette occasion, ce cas de la critique courante n’est pas le nôtre, comme, à notre sens, il n’est pas celui de cette initiative. Nous ne devons juger cette opération-Amerigeddon que du seul point de vue qui importe, qui est l’insurrection antiSystème contre le Système. Ce n’est pas la première fois, ni certainement la dernière que nous rencontrons et rencontrerons des antiSystème d’une facture qui ne nous séduit guère ; mais une seule chose importe, c’est qu’en l’occurrence ils sont antiSystème alors que certains autres, de plus haute qualité et que nous jugions antiSystème, se retrouvent dans cette occasion du côté du Système par pur réflexe idéologique et moral. Dans ce cas et comme toujours, notre choix est fait, qui n’indique rien d’autre que l’opportunisme colossal et sans la moindre vergogne que nous dicte, à tous égards et dans tous les sens, la bataille contre le Système. Nous n’avons rien à faire de la “bonne réputation”, qui est déjà une capitulation devant le Système, et tout à observer avec intérêt là et partout où se développe une poussée antiSystème.


« Call to action », dit l’argument du film, et combien traduiront instantanément « Call to arms », ce qui aux USA n’est pas une vaine expression... C’est aussi l’ambiguïté de la “guerre de la communication”, – ici “guerre civile de la communication”, – pour savoir quand et si nous passons de la communication à l’action réelle... A ce point, il s’agit de considérer objectivement l’originalité extraordinaire de l’initiative, qui utilise le cinématographe commercial comme instrument de combat ouvertement affiché comme tel. Le cinéma, essentiellement US, a toujours été dans sa manufacture industrielle (Hollywood) un instrument de propagande au service du Système, – c’est-à-dire, un “instrument de combat” dissimulé en “propagande douce” derrière l’apparence hypocrite du divertissement ou éventuellement (assez rarement) de l’art. Une autre catégorie, moins hypocrite, s’est constitué dans le “cinéma engagé”, ou “cinéma dissident”, souvent dans un sens antiSystème ces dernières décennies lorsque le bataille entre les idéologies a tendu à s’effacer derrière une certaine prise de conscience de l’existence du Système. Ces dernières années, la lutte Système-antiSystème s’est radicalisée et les batailles idéologiques se sont souvent trouvées instrumentalisées dans divers sens par cette bataille colossale entre Système et antiSystème ; dans ce cas, la “dissidence” a bien plus de mal à conserver sa vertu originelle, parce qu’elle se trouve souvent manipulée, au travers de ses engagements idéologiques, par l’évolution ultra-rapide et souvent chaotique en allant dans tous les sens, de cette bataille Système-antiSystème. L’intérêt d’Amerigeddon est que son caractère “de combat” écarte toutes les ambiguïtés et le place, dans la crise actuelle, comme un puissant moyen de communication antiSystème avec un appel direct à l’insurrection. Du coup, même ceux qui sont opposés en tous points à l’américanisme, dont Amerigeddon reste un représentant dans sa forme droitière dure, peuvent approuver l’initiative à cause de ce que nous qualifions plus haut d’“opportunisme colossal et sans la moindre vergogne que nous dicte, à tous égards et dans tous les sens, la bataille contre le Système”.

Cela admis pour bien faire comprendre ce que doit être, à notre avis, une attitude antiSystème, il faut observer qu’Amerigeddon, qui représente un appel direct à l’insurrection et non plus une plaidoirie ou une prise de position, acte un pas supplémentaire dans les moyens et les techniques de la guerre de la communication. On observera alors combien les fractions généralement perçues avec une hostilité sans retour par le Système comme “conservatrices“, “traditionnalistes”, et souvent “antimodernes”, etc., (alors que ces étiquettes peuvent être contestées et doivent être contestées, – mais c’est une autre histoire), combien ces fractions se montrent innovantes dans la guerre de la communication qui renvoie pourtant à la modernité du Système dans sa constitution initiale. (Ainsi pourrait-on mettre dans un parallèle antiSystème l’habileté des Russes depuis 2012-2013 dans la guerre de la communication où ils furent si souvent distancés, avec l’audace de l’initiative-Amerigeddon de l’ultra-droite américaniste-conservatrice US, – alors qu’en général ces deux groupes sont plutôt opposés l’un à l’autre dans la bataille idéologique.)

L’équipe Norris & Cie a l’intention de produire d’autres bandes, pour le cinéma et la télévision, et ainsi préparant un plan de guerre de communication sur le terme. Ainsi se trouvent désormais relayé et élargi le champ de la bataille politique et électorale en cours. L’interprétation de la situation qu’implique un film comme Amerigeddon, qui donne pour la première fois un sens utile à la catégorie blockbuster hollywoodienne, est une dramatisation extrême de la crise américaniste en cours. Elle permet de donner la clef pour réaliser combien cette bataille déclenchée essentiellement parla candidature Trump est grosse d’une déstabilisation majeure des USA, quasiment une “seconde guerre civile”. Symboliquement autant qu’opérationnellement, cette situation consacre un peu plus la toute-puissance de la guerre de la communication en la haussant directement au niveau des enjeux les plus dramatiques. Il n’y a, à ce propos, personne de particulier à célébrer, parce qu’il importe d’abord de constater combien cette orientation correspond à la pente naturelle de la Grande Crise Générale, combien elle répond aux nouveaux impératifs de la situation de chaos qui a succédé à celle du désordre. Les Norris & Cie, comme le The Donald de son côté, n’ont fait que répondre aux pressions irrésistibles qui animent les évènements auxquels nous assistons.

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