23 décembre 2016

Le déclin de la cohésion démocratique


Trumpenstein, notre création, prédite il y a 157 ans...

L’élection de Donald Trump au poste de Président des Etats-Unis a plongé l’élite politique du monde dans un état de choc. Son élection, survenue peu de temps après le vote en faveur de Brexit au Royaume-Uni, a profondément miné le statuquo politique néolibéral qui domine les économies occidentales depuis trente ans.

Ce qui était jusqu’alors impensable est devenu réalité, et l’avenir est désormais plus incertain qu’il ne l’a jamais été. En revanche, cette élection a été prédite il y a 157 ans par le philosophe britannique John Stuart Mill. Les causes et conditions qui ont mené à l’arrivée de l’ère de Trump n’auraient pas pu être plus claires.

Dans une chambre d’écho pour l’idéologie néolibérale, le cartel des médias et des hommes politiques s’est échangé des informations, des scoops et des divulgations en toute impunité. Il a continué d’ignorer le mécontentement ambiant, et le détachement et les inquiétudes justifiées d’une masse croissante de minorités au sein de leur société.

Des décennies durant, leurs inquiétudes ont été ignorées à mesure que les politiques économiques libérales et de globalisation ont réduit leur sécurité financière, écrasé leurs communautés et accru le fardeau de leur dette.

Dans son livre Sur la liberté, Mill nous met en garde des effets du comportement tyrannique de la majorité d’une société contre les croyances et les inquiétudes des minorités, qui prive les deux camps du droit de débattre et de réfuter les arguments de l’autre, et mène finalement au déclin de la cohésion démocratique.

De nombreux politiciens, historiens et hommes d’affaires bien informés ont pensé, des décennies durant, que les circonstances qui ont mené le monde vers la seconde guerre mondiale dès les années 1930 ne pourraient jamais se reproduire. Ils pensaient que les sociétés libres et inclusives, au sein desquelles les individus sont libres de s’associer, de s’exprimer et de choisir comment vivre leur vie librement et démocratiquement, ne pourraient qu’encourager le progrès économique.

Mais selon Mill, de telles libertés ne suffisent pas. Une société doit activement défendre le droit de ses minorités à exprimer leurs inquiétudes, que leurs idées soient justifiées ou non, qu’elles soient dangereuses ou non.

L’arrivée de Trump peut être justifiée de nombreuses manières, et notamment par les sous-courants sociaux qui se sont accumulés de nombreuses années durant.

Son élection concerne moins la montée en puissance d’un nouveau corporatisme politique républicain qui perçoit soudainement les milliardaires comme des sauveurs politiques, mais plutôt l’anxiété, la frustration, l’isolation et la dissension sociale des populations occidentales qui ont été politiquement, économiquement et socialement laissées pour compte ou ignorées par la globalisation et ses avocats néolibéraux, qu’il s’agisse de la presse ou des politiciens.

Ne commettez pas d’erreur. Trump est un anti-candidat. Il est anti statuquo, anti-élite, et anti-libéral. Son élection est une demande d’attention, de débats et de dialogue de la part de ceux qui ont été ignorés et laissés en retrait. Avec le temps, son élection pourra éventuellement être perçue comme l’une des démonstrations les plus frappantes des principes démocratiques que le monde ait jamais connues ; et les démocraties en ressortiront peut-être plus fortes, si tant est qu’elles y survivent.

Comment cette élection a-t-elle été prédite ?

Permettez-moi de dire un mot sur le sujet de la globalisation.

La globalisation fait rage depuis les années 1960, alors que les premières corporations transnationales se sont répandues autour du globe à la recherche de chaines d’approvisionnement intégrées et optimisées, d’une présence sur plusieurs marchés, de capital moins cher et, bien évidemment, de main d’œuvre à moindre coût.

Ces corporations ont offert des produits moins chers et de meilleure qualité sur de plus en plus de marchés, et ont pris le dessus sur les industries indigènes et les complexes industriels inefficaces protégés par les gouvernements nationaux.

Elles ont joué non seulement le jeu de l’arbitrage réglementaire, mais aussi celui de l’arbitrage comptable. Elles ont optimisé leurs bilans (dettes et actifs) grâce à des stratégies fiscales efficaces qui leur ont permis de verser aussi peu d’impôts que possible, d’accumuler toujours plus de profits et de gonfler le capital de leurs actionnaires et de leurs équipes de direction.

Mais la globalisation n’a jamais été comprise des masses. Personne n’a jamais expliqué ce qui arriverait aux emplois à l’échelle locale, ainsi qu’au mode de vie des communautés.

Les sociétés y ont été contraintes, et ont d’abord accueilli le processus. Tout le monde a pu en tirer profit. Les sociétés occidentales ont profité de produits moins chers, de l’accès à de nouveaux marchés, à des emplois mieux rémunérés, et ainsi de suite. Les récentes recherches menées par le MIT montrent que la productivité des sociétés a augmenté au même rythme que la prospérité des employés depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000.

C’est à ce moment-là que s’est brisée cette relation. Les sociétés ont continué d’enregistrer des gains, mais pas leurs employés, dont les revenus ont stagné et dont la dette s’est accrue. En conséquence, ils ont dû travailler plus pour le même salaire. C’est ainsi qu’a commencé à s’accumuler le risque systémique.

Ces mêmes forces guident aujourd’hui l’Europe vers un effondrement potentiel. Les communautés européennes ne sont ni engagées ni participantes. Une majorité des Européens ne savent pas qui sont les membres du Parlement européen, et encore moins leur opinion des sujets qui leur semblent pertinents. Malheureusement, l’Union européenne est perçue comme un train technocrate monolithique et impénétrable au service de ceux qui ont des relations politiques et financières haut-placées.

Les gouvernements domestiques récompensent souvent ceux qui les soutiennent à l’échelle domestique grâce à des emplois très bien rémunérés à Bruxelles. La création monétaire et les largesses des banques centrales bénéficient aux banques, aux institutions financières et aux élites les plus riches.

C’est là que nous en sommes aujourd’hui – seize ans plus tard, les gens demandent à mettre fin à la globalisation. Pas parce qu’ils savent ce qu’est le problème dont ils souffrent, mais parce que ceux qui disent le savoir ne le savent en fait pas. Les gens ont condamné les élites politiques pour leurs mensonges, et cherchent désormais à s’en débarrasser.

Nous aurions dû être mieux avisés

On appelle ça la tyrannie sociale, qui a été prescrite comme l’une des forces les plus dangereuses de démocratie libérale par John Stuart Mill dans son célèbre livre, Sur la liberté.

Mill était un ardent partisan des démocraties libérales, des droits des femmes et des droits des individus à former leurs propres opinions. Il était d’avis que l’individu devrait être autorisé à se tromper, même si ses opinions sont considérées dangereuses par l’Etat.

Selon lui, les gouvernements devraient non seulement protéger le droit de leurs citoyens de s’exprimer et de penser, mais aussi défendre le droit de leurs minorités de s’exprimer et d’être entendues. Plus important encore, il pensait que le plus grand danger auquel fait face une société n’est pas un régime despotique, mais une tyrannie de la majorité.

Lorsqu’une société est capturée par la majorité et par ses croyances, elle tend à ignorer les inquiétudes et les croyances des minorités, des sous-classes et des marginalisés. Ainsi, elle force ces croyances dans le monde souterrain, où elles sont plus aptes à s’envenimer.

La tyrannie de la majorité

Les sociétés gouvernées par une majorité peuvent exercer une oppression plus formidable encore que bien d’autres formes d’oppression politique.

Pourquoi ? Parce qu’elles n’offrent que très peu d’issues de secours, et pénètrent plus profondément encore dans les détails de la vie de tous les jours, jusqu’à asservir les âmes mêmes de leurs citoyens. Quand une société devient tyrannique, cette tyrannie ne se limite pas aux actes de ses opérateurs politiques. La société pratique une tyrannie sociale plus formidable encore que de nombreuses formes d’oppression politique.

Les pressions sociales ne sont pas toujours explicites, et peuvent être subtiles et durables, jusqu’à briser les individus – et les pousser à se retirer. Selon Mill, elles sont un « mal social » qui réduit peu à peu la liberté et la capacité des individus à penser librement. Si une société fournit une vie satisfaisante à ses citoyens, elle peut activement décourager de telles forces et éviter à des individus de se retrouver seuls face à la tyrannie des médias et des masses.

Mais pourquoi une société moderne devrait-elle soutenir les croyances d’un populiste ignorant et dangereux ?

Dans son argumentation sur les dilemmes, Mill s’est montré empathique. Les sociétés peuvent percevoir certaines croyances comme erronées. Dans ce cas précis, il estime qu’au fil du temps, elles peuvent se trouver avoir raison. Mais dans le cas où elles se trouvent avoir tort, au travers de débats, ces sociétés peuvent finir par se trouver réfutées.

Concernant les croyances dangereuses, ces dernières devraient être exposées au grand jour et réfutées afin qu’elles puissent perdre leur support pour enfin disparaître. Pourquoi refuser à une société le droit d’argumenter contre des croyances dangereuses ou erronées, si elle ne le fait pas au travers de l’intimidation ou de la soumission idéologique – qui ne feraient que les forcer dans le monde souterrain où elles continueraient de se répandre ?

Mill discute de la pluralité de l’opinion. Lorsque nous nous engageons dans des débats, nous apprenons et nous nous développons en tant qu’individus et en tant que sociétés. Lorsque les gens ont des intérêts et des goûts différents, le bien-être d’une société ne fait pas que croître, il se renforce. La diversité est la clé de notre robustesse.

Les rares individus qui vont à l’encontre des valeurs communes (certains achètent même de l’or) sont ceux qui nous aident à sortir de notre zone de confort et, au travers de leurs idées nouvelles, accentuent la robustesse de notre société.

Pour citer Mill :

« Celui qui laisse le monde choisir le cours de sa vie vit une vie simienne, celui qui vit une vie qu’il choisit pour lui-même use de toutes ses facultés. »

L’élection de Trump peut être perçue comme une déclaration des minorités qui ont été ignorées et laissées de côté. Le 8 novembre 2016, elles se sont levées en masse pour demander à ce qu’on les écoute. Leurs valeurs ne sont pas seulement basées sur le parti républicain, la libre-circulation des biens, l’ouverture des frontières, les rendements du marché boursier et un Dow à 20.000 points.

Ce qu’elles veulent, c’est une sécurité économique, des emplois stables, des communautés stables et le droit d’avoir tort, d’être entendues, d’être respectées et d’être traitées en égales.

Et maintenant ?

Le monde a changé, et la démocratie a été remise en question. Nos médias, qui ont été capturés par la chambre d’écho de la rhétorique néolibérale, traversent actuellement une douloureuse période d’introspection.

J’espère fortement qu’en tant que société, nous pourrons tirer des leçons de cette nouvelle ère et réaligner nos valeurs pour promouvoir l’individu plutôt que les corporations, les communautés locales plutôt que le global, et que nous apprendrons à nous écouter et nous respecter les uns les autres, quels que soient notre statut social, notre classe sociale et nos croyances.

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