02 janvier 2017

Le Prix Nobel d'économie : «la fin de l'euro n'est qu'une question de temps»


Mal conçu au départ, ignorant les spécificités de chaque pays, entraînant l'Europe vers le déclin... L'économiste de renom dresse un portrait très sombre de l'euro, tout en jugeant très crédible l'hypothèse de sa disparition avant la fin de l'année.

Le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz a publié le 30 décembre dernier une tribune dans le magazine Fortune dans laquelle il se montre très pessimiste sur l'avenir de l'euro, allant jusqu'à prédire que 2017 pourrait bien être l'année de l'effondrement du projet de monnaie unique.

Déjà il y a une vingtaine d'années, Joseph Stiglitz avait émis de sérieux doute sur la viabilité de la devise européenne. En 2016, à nouveau, il a sonné la charge contre la monnaie unique en publiant L'Euro : Comment une monnaie unique menace le futur de l'Europe. Il constate désormais que la zone euro s'est montrée incapable d'absorber le choc de la crise économique de 2008 dont elle subit encore aujourd'hui les conséquences. «Le résultat est que les pays riches s'enrichissent, les pays pauvres s'appauvrissent, et à l'intérieur de chaque pays, les riches s'enrichissent et les pauvres s’appauvrissent», a-t-il déploré.

Rappelant que l'Irlande et l'Espagne étaient en excédent budgétaire avant la crise, il souligne que «c'est donc la crise qui a provoqué l'endettement et non l'inverse». «L'euro s'est construit sur une croyance : celle selon laquelle, si les gouvernements maintenaient leur déficit sous les 3%, leur endettement sous les 60% et leur inflation sous les 2%, le marché garantirait la croissance et la stabilité - or ni ces chiffres ni la logique sur laquelle ils s'appuient n'ont de fondement dans la théorie ou dans la pratique», affirme-t-il.

Finalement, l'euro était avant tout un projet politique, mais dépourvu de solidité économique.

Tout s'est fait sur «l'espoir que la discipline fiscale et monétaire permette une convergence». Or cet espoir était infondé, car il ignorait la «convergence intellectuelle» entre les différents pays, leurs différentes traditions et leurs différentes sensibilités. «Ce qui peut être perçu comme une bonne politique en Allemagne ne l'est pas forcément ailleurs, et ces différences sont très anciennes - je ne les ignorais pas moi-même lorsque je travaillais à l'OCDE», a-t-il regretté.

«L'Euro était un moyen pour une fin : il est devenu une fin en soi»

Outre les défaillances structurelles et le choc de la crise, les politiques conduites n'ont fait qu'accentuer les difficultés économiques de l'Europe. Joseph Stiglitz n'hésite pas à critiquer de manière assez sévère les politiques de rigueur mises en place dans certains Etats européens, en tête desquels l'Allemagne d'Angela Merkel. «L'austérité, dont l'Allemagne pensait qu'elle ramènerait rapidement la croissance, a misérablement échoué dans tous les pays où elle a été tentée : les conséquences étaient prévisibles et avaient été annoncées par la plupart des économistes sérieux du monde entier», note-t-il, dénonçant également l'échec contre-productif des réformes structurelles mises en place ailleurs.

L'austérité a misérablement échoué partout où elle a été tentée : les conséquences étaient prévisibles et avaient été annoncées

«La conséquence est donc que beaucoup de pays ont vu leur croissance flancher et leur balance commerciale basculer du mauvais côté», indique le prix Nobel, qui met ces piètres résultats en parallèle avec les objectifs initialement annoncés de prospérité et de stabilité grâce à l'euro. Si certains événements sont extérieurs, c'est pourtant bien l'euro qui en a aggravé leurs conséquences. Dernier exemple en date, la crise des réfugiés, qui a augmenté la pression sur des économies «où le taux de chômage est déjà élevé, et qui rechignent donc à voir arriver de nouveaux travailleurs pour des emplois bons marché».

«L'Euro était un moyen pour une fin : il est devenu une fin en soi» conclut Joseph Stiglitz, qui déplore le manque d'ambition et de perspective dans les réformes conduites. S'il émet l'idée que les gouvernements européens puissent se ressaisir et changer de cap, il estime néanmoins que «cela est désormais aussi probable que l'inverse, c'est à dire que les politiques décident d'y mettre un terme». A cela s'ajoute l'essor de forces politiques nouvelles que l'économiste qualifie de «dissidentes» par rapport aux «partis centristes de gauche et de droite» qui dirigent la plupart des Etats européens.

La conclusion de l'économiste, qui se refuse à faire toute prédiction dans le contexte d'incertitude actuelle, n'en demeure pas moins sombre pour la monnaie unique. «Ce n'est sans doute plus qu'une question de temps avant que l'Europe se retourne sur son passé et voie l'euro comme une expérience intéressante et pleine de bonnes intentions, mais ayant échoué - et cela au grand détriment des citoyens et de la démocratie».

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