16 février 2017

Matraquage médiatique pour « vendre » la marque Macron à l’électorat

 
Il existe un indicateur fiable et objectif pour identifier les bulles médiatiques. Il apparaît qu'en 2016, le phénomène Macron en était indiscutablement une... et ce matraquage médiatique a conduit un pan significatif de l'électorat à le trouver intéressant du simple fait de cette surexposition.

La question de savoir si la candidature d’Emmanuel Macron relève ou pas d’une bulle médiatique a beaucoup intéressé, et intéresse encore, tous ceux que cette campagne présidentielle hors-normes interpelle ou passionne. Cette question n’a pas été clairement tranchée pour autant. Or il existe un indicateur fiable et objectif pour identifier les bulles médiatiques. D’un côté, l’on mesure les « parts de voix » du candidat dans les médias mainstream, c’est-à-dire le taux d’articles qui citent son nom dans le titre. De l’autre, l’on mesure ses parts de voix sur les grands réseaux sociaux, c’est-à-dire le taux de contenus émis par les gens au sujet du candidat. Si le taux dans les médias est significativement supérieur au taux sur les réseaux sociaux, cela signifie que les médias s’intéressent beaucoup à un candidat alors que sa campagne prend beaucoup moins dans la population : c’est donc une bulle médiatique.

A l’aide de données analysées via Talkwalker par Véronique Reille Soult, directrice générale de Dentsu Consulting, il apparaît alors qu’en 2016, le phénomène Macron était indiscutablement une énorme bulle médiatique. Du 1er avril au 31 septembre 2016, il avait en effet 43% de parts de voix dans les médias contre 17% sur les réseaux sociaux. Puisque l’écart dépasse même le passage du simple au double, et puisque le taux dans les médias est proche de la majorité absolue, l’on peut raisonnablement qualifier cette situation de matraquage médiatique pour « vendre » la marque Macron à l’électorat.

En revanche, depuis la fin de 2016 et le début de 2017, le même phénomène Macron ne relève plus d’une bulle. Du 1er décembre 2016 au 31 janvier 2017, il est à 20% de parts de voix dans les médias contre 19% sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire quasiment le même taux. L’intérêt de l’électorat reste en réalité stable : 19% contre 17 précédemment. S’il n’y a plus bulle, c’est simplement parce que le matraquage médiatique s’est dégonflé : 20% contre 43 précédemment. Cela étant, le mois de janvier a été phagocyté par la primaire du Parti socialiste, ce qui a diminué l’attention des médias envers tous les candidats hors-PS : il faudra donc examiner les résultats de février pour voir si le matraquage pour surexposer Emmanuel Macron a repris sitôt ladite primaire achevée.

Le matraquage médiatique de la marque Macron en 2016 a réussi à lui donner ce socle dans le public. Cependant l’apparition d’un taux de 17-19% sur les réseaux sociaux, stable, semble indiquer ceci : le matraquage médiatique de la marque Macron en 2016 a réussi à lui donner ce socle dans le public. Cela s’explique par une loi psychosociale bien connue des publicitaires professionnels : « l’effet de simple exposition ». En 1968, le psychologue étatsunien Robert Zajonc publia les résultats de l’expérience suivante : il avait exposé des sujets humains à des mots de sept lettres sans aucune signification en faisant varier l’exposition de 0 à 25 fois ; à la suite de quoi il était demandé aux sujets si le mot désignait à leur avis quelque chose de négatif, de neutre ou de positif. Les résultats montraient que les mots ayant été exposés le plus grand nombre de fois étaient jugés de la manière la plus positive. Dans notre vie économique, l’application la plus évidente de l’effet de simple exposition est le matraquage publicitaire pour faire entrer de force les marques dans nos esprits : « Enjoy Coke », « Avec Carrefour je positive », « Just do it : Nike », etc. Dans notre vie politique, l’application la plus récente est le cas Emmanuel Macron : le matraquage médiatique de 2016 a conduit un pan significatif de l’électorat à le trouver intéressant du simple fait de cette surexposition intensive.

Demeure néanmoins un point faible : certes, on parle beaucoup d’Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux ; certes, il réussit à pénétrer des sphères d’ordinaire plutôt neutres ; mais le taux d’engagement pro-Macron dans les contenus émis à son sujet, notamment sur Facebook et sur les forums, reste très faible. Outre que les sympathisants d’Emmanuel Macron sont souvent des novices et ont donc encore du mal à poster des contenus engagés sur le web, cela tient principalement au fait que le candidat exprime extrêmement peu de positions clivantes, celles-là même qui engagent au partage et à la polarisation. En d’autres termes, si Emmanuel Macron continue à être essentiellement une marque répétée en boucle quasiment sans contenu vis-à-vis duquel les électeurs puissent se positionner, il relèvera de plus en plus d’une bulle de savon gonflée à l’hélium.

À la machine à café de la vie de bureau ou dans les conversations de pause déjeuner, ces jours-ci cela donne cette question quand on parle de lui : « Mais quand est-ce qu’il sort enfin son programme ? ». Plus précisément, plutôt qu’un catalogue de mesures, en réalité ce qui manque à l’électorat en général et aux sympathisants d’Emmanuel Macron en particulier, c’est l’expression précise de la vision et des valeurs qu’il porte. La liste détaillée du programme, elle, est en fait secondaire.

Question déontologique pour conclure : jusqu’où les médias mainstream peuvent-ils aller dans le matraquage pour surexposer un candidat et le faire ainsi bénéficier de la dynamique artificiellement fabriquée par l’effet de simple exposition ? D’un côté, tout média d’information a une ligne éditoriale, donc un positionnement idéologique, ce qui est normal et sain pour une démocratie pluraliste. Il s’ensuit qu’il est également normal qu’un grand média soutienne tel ou tel candidat à la présidentielle, en application de sa ligne éditoriale. De l’autre côté, en l’état actuel de concentration du paysage médiatique, s’il résulte du positionnement des uns et des autres une surexposition de tel candidat, comme le cas d’école Macron en 2016, le paysage médiatique devient une machine à piper les dés du jeu démocratique au lieu d’être gardien d’un pluralisme équitable envers les candidats.

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