18 novembre 2017

L’accord énergétique iranien avec la Russie a tué quatre oiseaux avec une seule pierre

Rencontre trilatérale entre Vladimir Poutine, le président iranien Hassan Rouhani et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à Téhéran, le 1er novembre 2017 (PHOTO: KREMLIN.RU)

L’accord énergétique gigantesque de 30 milliards de dollars entre la Russie et l’Iran a simultanément atteint quatre objectifs essentiels aux grands objectifs stratégiques derrière le « Pivot vers l’Oumma » de Moscou.

Le PDG de Rosneft, Igor Sechin, a annoncé que sa société avait signé une feuille de route pour investir 30 milliards de dollars dans le secteur iranien de l’énergie suite à la visite en République islamique du président Poutine pour entamer des pourparlers tripartites avec l’Azerbaïdjan. Ce coup de maître de la diplomatie énergétique n’aurait pas été possible sans Trump, qui aura éloigné les investisseurs occidentaux de l’Iran et poussé le pays à se rapprocher de la Russie. Cela a complètement inversé la dynamique prévue par l’administration Obama qui cherchait à réorienter l’Iran dans la direction opposée à travers les multiples concessions offertes à travers l’accord nucléaire de l’été 2015. Les « progressistes » de la politique étrangère de la Russie font des progrès rapides dans la réalisation de leur grand objectif stratégique du XXIe siècle : positionner Moscou comme la force d’équilibre suprême du supercontinent eurasien, accélérant ainsi la transition mondiale vers un ordre mondial multipolaire.

Afin d’apprécier à quel point le mouvement géostratégique que Moscou a accompli cette semaine est particulièrement significatif, il ne faut pas aller plus loin que les quatre objectifs qui ont été immédiatement avancés dans la feuille de route énergétique russo-iranienne.

Dévoilement d’un pipeline trans-azéri

La Russie a l’intention de construire un oléoduc trans-azéri vers l’Iran, qui renforcera non seulement les relations bilatérales russo-iraniennes et leur expansion trilatérale avec l’Azerbaïdjan, mais démontrera également le succès du récent rapprochement russo-azéri de l’année dernière. Moscou considère Bakou comme un pays intégrationniste dans le sens où il facilite l’objectif transcontinental de la Russie et de la Chine de réunir les masses continentales, tandis que l’Arménie, un allié traditionnel de la Russie, est perçue comme un pays pro-occidental avec une politique d’obstruction, et devenue soudainement un partenaire égaré.


Cela ne devrait pas être interprété comme une coïncidence si cette nouvelle étape énergétique dans les relations russo-azerbaïdjanaises a eu lieu quelques semaines avant la signature prévue du « nouvel accord global et renforcé » de l’Arménie avec l’UE. La dichotomie de l’Azerbaïdjan se rapprochant de la Russie au moment même où l’Arménie dérive vers l’Occident devrait avoir de sérieuses implications pour le processus de paix au Nagorni-Karabakh car cela suggère que Moscou pourrait soutenir plus fermement la solution avancée par Bakou dans ce conflit. Cette solution suivrait le droit international alors que l’Occident (fortement influencé par le puissant lobby arménien basé aux États-Unis) pourrait soutenir l’occupation continue de la région par Erevan.

Démarrage du flux sud-asiatique

L’autre résultat important de ce sommet trilatéral est que la Russie a également annoncé qu’elle avait l’intention de construire un oléoduc entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde, ce qui pourrait signifier, et l’auteur en a récemment parlé, que la Russie a réussi à réduire le soutien de l’Inde au terrorisme Baloutche contre le Pakistan en raison du nouvel intérêt personnel de New Delhi à la stabilité de cette région transnationale, à cause du “courant sud-asiatique”. Si elle réussit avec cette stratégie, Moscou pourrait prouver qu’elle est en effet la seule force d’équilibre capable de maintenir la stabilité dans la région pivot du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, en raison de l’influence que la Russie peut encore exercer en « modérant» le pivot pro-occidental que l’Inde a engagé ces dernières années.

Neutraliser l’Iran en tant que concurrent européen

Conformément à la stratégie, mentionnée ci-dessus, de l’administration Obama pour faire entrer doucement l’Iran et son gouvernement « modéré » dans le giron occidental, une grande partie de la vision avait à voir avec l’utilisation des investissements occidentaux pour finalement transformer le pays en un formidable concurrent de la Russie sur le marché européen. Tout ce plan a été neutralisé à cause de l’agression de Trump contre la République islamique et la “mission de sauvetage” des investissements énergétiques russes maintenant engagés pour “sauver” l’économie du harcèlement anti-iranien de ses partenaires occidentaux (en dépit du déni public du président). Ce harcèlement semble prendre la forme de sanctions sectorielles imminentes contre ses ressources. Dans ces circonstances, qui mettent en mouvement des stratégies reformatées depuis des années par toutes les parties, il est pratiquement impossible que les États-Unis puissent “orienter” l’Iran dans la direction voulue pour en faire un concurrent sérieux de la position de la Russie sur le marché européen.

Rassurer Téhéran sur le rapprochement russo-saoudien

Enfin, l’Iran avait toutes les raisons d’être préoccupé par le rapprochement russo-saoudien si ses décideurs le considéraient sous un angle néo-réaliste “à somme nulle”, même si l’intention de Moscou était de forger une solution gagnant-gagnant conservant la paix d’État à État au Moyen-Orient. Mais toutes ces craintes ont été apaisées après l’annonce des plans d’investissement énergétique de 30 milliards de dollars de Rosneft en République islamique. Téhéran peut maintenant être assuré que Moscou ne « se vend » pas aux Saoudiens, mais tente en réalité de trouver un équilibre dans les relations interétatiques complexes du Moyen-Orient, d’où le succès de la visite du président Poutine en Iran pour prouver le succès du “Pivot de l’Oumma” de la Russie, qui se profile.

Andrew Korybko
Source

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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